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LU. "LUNDIS DE L'IHEDN" – Focus : " Le temps des batailles : combattre, sur tous les fronts "

Posté le mardi 25 juin 2024
LU. "LUNDIS DE L'IHEDN" – Focus : " Le temps des batailles : combattre, sur tous les fronts "

Deuxième épisode de notre série « Esprit 44 » en partenariat avec la Fondation Charles-de-Gaulle. Nous explorons cette fois l’engagement, sur différents théâtres d’opération, de troupes de la France libre. Une étape cruciale dans la légitimation de cette dernière auprès des Français et des Alliés.


DE 1944 À 2024, L’ESPRIT DE DÉFENSE EN PARTAGE

En nous penchant sur les longues campagnes menées sur plusieurs fronts à compter du printemps 1944, on comprend comment le chef de la France libre, Charles de Gaulle, et les hommes et femmes l’ayant suivi, ont pu restaurer le pays. À l’intérieur d’une part, en libérant villes et villages à marche forcée. Mais aussi à l’extérieur, en montrant aux nations alliées que le Comité français de Libération nationale (CFLN) était solide et crédible.

Devenu Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) le 3 juin 1944, il conduira la France à la victoire et lui permettra de retrouver sa place sur la scène mondiale. Huit décennies plus tard, ces batailles menées sur tous les fronts participent de la culture de défense, que l’IHEDN a pour mission de promouvoir.

 

DE L’ITALIE À STRASBOURG, LA RENAISSANCE DES ARMÉES FRANÇAISES

 

Avant même le printemps 1944, alors que la libération du territoire métropolitain s’annonce, Charles de Gaulle a un dessein : engager ses troupes, pourtant limitées en nombre et dépendantes en capacitaire, sur l’ensemble des théâtres du second conflit mondial. Cela lui semble indispensable pour inscrire la France libre dans le camp des vainqueurs, afin également de renforcer la légitimité du CFLN auprès des Alliés.

La Libération de la métropole constitue bien entendu l’objectif central, puisqu’il s’agit de réinstaller l’État et la légalité républicaine, en faisant le lien entre France libre et Résistance. Mais la diversification des engagements (Normandie, Provence, front de l’Est, Indochine) a un effet de levier stratégique : par leurs engagements, par leurs avancées décisives, y compris sur des théâtres éloignés, les troupes françaises donnent du poids à la parole du général, et légitiment l’installation du GPRF.

« Au moment où la bataille s’engage, comme elle est courte, l’épée de la France ! », regrette De Gaulle. Pourtant, cette période du printemps 1944 est celle d’une renaissance militaire pour les armées françaises. Équipées, organisées par les Américains, nourries d’un apport massif des troupes de l’Empire (notamment d’Afrique du Nord), les troupes françaises, entre les campagnes de Juin en Italie, de Monsabert et Larminat à Marseille et Toulon, ou de la 2e Division blindée (DB) de Leclerc d’Alençon à Strasbourg, gagnent le respect des Alliés en jouant un rôle de fer de lance souvent décisif.

À l’échec de la stratégie défensive de 1940 répond ainsi un élan offensif retrouvé, une forme de furia francese dont l’apport à la victoire finale contre le nazisme ne doit pas être négligé. Les percées des goumiers et spahis marocains au Monte Cassino (mai 1944), qui brisent la ligne Gustav et ouvrent la route de Rome, constituent un exploit militaire que saluera le maréchal allemand Kesselring, et qui facilite le débarquement en fixant des troupes allemandes.   

 

NORMANDIE, PROVENCE : DEUX DÉBARQUEMENTS COMPLÉMENTAIRES

 

L’opération amphibie est sans doute l’une des opérations les plus complexes à mettre en œuvre de l’art militaire. Elle nécessite une coordination technique et logistique pointue, une maîtrise des mers et des airs, et une capacité à rapidement « prendre pied » sur le territoire.

Les deux opérations menées en Normandie le 6 juin et en Provence le 15 août ne sont pas toujours considérées d’importance équivalente, comme si à Omaha Beach avait été initiée une libération inéluctable, et qu’en Provence un ennemi déjà affaibli avait vite renoncé. Pourtant, la progression militaire a été lente, et les deux opérations se sont avérées complémentaires.

Le débarquement de Normandie est une opération complexe, dont De Gaulle est longtemps tenu à l’écart. L’implication des forces françaises reste limitée : le commando Kieffer (177 hommes) débarque près de Ouistreham, tandis que les Forces navales de la France libre (FNFL) et une centaine d’aviateurs des Forces aériennes (FAFL) contribuent à la sécurisation du théâtre. La 2e DB du général Leclerc, choisie dès fin 1943 pour participer à l’opération, est encore stationnée dans le Yorkshire (Angleterre), en phase de préparation et d’entraînement : elle ne débarquera en Normandie que le 1er août 1944.

Mais à cette date, l’avancée alliée est encore laborieuse : Caen a été libérée le 20 juillet, et la percée n’intervient qu’à Avranches (Manche) fin juillet. Leclerc aura l’occasion de s’illustrer à la tête de ses troupes dans les combats à Alençon puis autour d’Argentan (deux villes de l’Orne), en pratiquant l’offensive à outrance, très à l’avant de la IIIe Armée du général américain Patton. Cette audace récompensée autorisera, sur l’insistance de De Gaulle, le lancement du détachement Guillebon vers Versailles et la libération de Paris : tout à sa poursuite des troupes allemandes, le général américain Eisenhower, commandant suprême des forces alliées, ne jugeait pas la capitale comme un objectif stratégique prioritaire (il redoutait des combats violents et meurtriers en milieu urbain).

 

AU DÉBARQUEMENT DE PROVENCE, DEUX TIERS DE SOLDATS FRANÇAIS

 

La percée en direction de Paris s’accélère de manière décisive après les 15 et 16 août, date de l’opération Anvil, le débarquement en Provence. Il impliquera 350 000 hommes, dont environ 230 000 soldats français, pour l’essentiel issus de l’armée B (future Première armée française), sous les ordres du général de Lattre de Tassigny et des FNFL, qui assurent le contrôle du théâtre.

Si le commandement opérationnel est américain (général Patch), les troupes françaises sont employées en fer de lance, et envoyées à l’assaut de Toulon (général de Larminat) et de Marseille (général de Monsabert, à la tête de la 3e Division d’infanterie algérienne). Dans les deux cas, les combats en milieu urbain sont violents ; Toulon, en particulier, étant ardemment défendue par les troupes allemandes. La prise rapide de ces deux villes (entre une et deux semaines en avance sur la feuille de marche), concomitante à la libération de Paris, ouvre le champ à une importante percée dans le sillon rhodanien.

La remontée du Rhône puis de la Saône est rapide, guidée par les insurrections des maquis : dès le 12 septembre, les armées de Provence et la 2e DB se rejoignent à Montbard (Côte-d’Or). Le 23 septembre, les Forces françaises de l’Intérieur sont rattachées à la 1ère Armée, remplaçant en partie les troupes africaines. La jonction s’avère d’ailleurs délicate, De Lattre acceptant difficilement la liberté opérationnelle que revendique Leclerc.

Par la suite, après des combats partagés, les tâches sont réparties : à Leclerc et à la 2e DB la libération de Metz et de Strasbourg (où le général honore son serment de Koufra) et la percée vers le nid d’aigle d’Adolf Hitler à Berchtesgaden (Bavière) ; à De Lattre et à la 1ère Armée la mission de franchir rapidement le Rhin et d’assurer rapidement une présence française sur le théâtre allemand, marquée notamment par la prise de Karlsruhe début avril 1945.

 

LES PREMIERS SOLDATS FRANÇAIS ENTRENT EN ALLEMAGNE PAR L’EST

 

La convergence qui permet au général de Lattre de Tassigny d’être de ceux qui reçoivent la reddition allemande le 8 mai 1945, et à Leclerc de recevoir celle du Japon le 2 septembre 1945, ne serait pas complète si l’on oubliait l’engagement des troupes françaises en Asie, et sur le front de l’Est.

Bien évidemment, cet engagement est bien plus modeste numériquement. Dès la fin de l’année 1942, une escadrille d’une soixantaine de chasseurs français, baptisée « Normandie », prend la direction du front russe : basée près de Moscou, elle s’engage au combat dès la fin du mois de mars 1943, dans la foulée de l’échec allemand à Stalingrad. De missions de reconnaissance en protection des missions de bombardements, l’été 1943 est riche de victoires, mais aussi de pertes : leader emblématique, le commandant Jean Tulasne est abattu le 17 juillet 1943, pendant la bataille de Koursk.

 

Dans la perspective de l’effort massif de l’Armée rouge en Biélorussie et en Lituanie, appelé « Opération Bagration », lancé fin juin 1944, l’escadrille, réorganisée, régénérée, volant sur des Yak 3, joue un rôle de protection lors du franchissement du fleuve Niémen, qui lui donnera son nom définitif : en novembre, les aviateurs sont les premiers soldats français à pénétrer en territoire allemand, jouant un rôle de fer de lance dans la campagne. L’escadrille est dans son ensemble présente à Moscou le 6 décembre 1944 : lors de sa visite, le général de Gaulle décore son fanion de la croix de la Libération.

Au total, ces combats, qui engagent l’ensemble du capacitaire français (on ne saurait sous-estimer le rôle des FNFL dans la sécurisation des théâtres de débarquement puis dans le contrôle de la Méditerranée) valident la stratégie gaullienne. Ils contribuent aussi de manière décisive à la reconnaissance du GPRF par les Alliés, puis à la place qui est faite à la France à la table des vainqueurs.

Mais cet effort massif, cette « rencontre inoubliable ente la France et ses soldats », selon la formule d’Élisabeth de Miribel, s’efface devant la tâche de la reconstruction : dès janvier 1946, le « plan Juin » envisage de nouvelles missions et un capacitaire adapté aux moyens d’un pays à refaire.

 

IHEDN
24/06/24

Source : IHEDN