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LU. "LUNDIS DE L'IHEDN" – FOCUS : "L’Estonie : un géant numérique"

Posté le mardi 21 mai 2024
LU. "LUNDIS DE L'IHEDN" – FOCUS : "L’Estonie : un géant numérique"

À l’occasion d’une mission de la majeure Souveraineté numérique et cybersécurité de la session nationale de l’IHEDN, zoom sur le plus petit des pays baltes, devenu un acteur mondial du domaine digital, en cyberdéfense notamment.

Dans sa présentation officielle en langue anglaise, l’agence gouvernementale numérique e-Estonia joue avec le code du pays, EST : honest, coolest, highest, fastest, modest… Si le plus septentrional des pays baltes a 1,3 million d’habitants pour une superficie de 45 339 km2, il compte aussi parmi les géants mondiaux. En quelques décennies, une politique gouvernementale volontariste a conduit l’Estonie vers des sommets planétaires dans plusieurs domaines du numérique, en particulier la cybersécurité. C’est ce qui a poussé l’IHEDN à y envoyer en mission les auditeurs de la majeure Souveraineté numérique et cybersécurité de la session nationale, la semaine dernière.

À Tallinn, la capitale, on croise des robots de livraison sur les trottoirs, attendant sagement que le feu piétons passe au vert pour traverser. Le tropisme digital du pays ne vient pas de nulle part. Pendant la période soviétique (1940-1991), l’URSS avait choisi l’Estonie pour implanter son Institut Cybernétique, dès les années 1950. Après l’indépendance en 1991, le gouvernement poursuit dans cette direction. Aujourd’hui, 99,6% des transactions bancaires et 99% des démarches administratives se font en ligne – comme les impôts depuis 2000, le mariage depuis 2022, et même le divorce d’ici à la fin de cette année.

 Le pays natal de Skype et de Bolt compte aujourd’hui 1500 startups, dont 10 licornes (évaluées à plus d’1 milliard de dollars) et une décacorne (à plus de 10 milliards). Les services numériques et les nouvelles technologies comptent donc parmi les principales ressources économiques de la « Silicon Forrest », avec le bois. Et si l’Estonie excelle en matière de cybersécurité, c’est sans doute aussi dû à une action de Moscou.

DES CYBERATTAQUES MASSIVES EN 2007

Le pays conserve une importante minorité russophone (21,6% en 2024), principalement à l’est, le long de la frontière avec son gigantesque voisin eurasiatique. Début 2007, le gouvernement décide de déplacer une statue monumentale d’un soldat soviétique depuis un lieu central de Tallinn vers un cimetière militaire. Cette décision provoque des émeutes chez les russophones, mais aussi une série de cyberattaques qui marque fortement le pays.

À compter du 27 avril, des dizaines de sites estoniens « tombent », la plupart victimes d’attaques par déni de service distribuées (DDoS en anglais) : les portails des ministères, du Parlement, des banques, des journaux et chaînes de télévision… L’Internet estonien est à terre, mais la petite taille du pays et la familiarité entre les dirigeants des entités attaquées permettent une réponse rapide et coordonnée.

Jamais la Russie n’a reconnu son implication dans cette affaire, et personne n’a pu la certifier. Seul un Estonien russophone a été condamné. Mais cette série de cyberattaques a été abondamment étudiée par des spécialistes du monde entier, chez qui le consensus règne aujourd’hui : elle aurait été « tolérée par le Kremlin, si ce n’est activement coordonnée par ses dirigeants », résume le magazine américain Wired, référence dans le domaine du numérique.

LE MANUEL DE TALLINN ÉCRIT LE DROIT INTERNATIONAL DE LA CYBERGUERRE

En réponse, le gouvernement balte renforce la cybersécurité nationale : ainsi, la vénérable Ligue de défense estonienne, organisation paramilitaire créée en 1918, se dote d’une branche cyberdéfense. Les serveurs gouvernementaux se trouvent aujourd’hui tous en Estonie, avec des sauvegardes au Luxembourg. Et le pays va plus loin : il propose à l’OTAN, que l’Estonie a rejointe en 2004 (la même année que l’Union européenne), d’accueillir un centre d’excellence dédié à la cyberdéfense.

Créé dès mai 2008 à Tallinn, le NATO Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence (CCDCoE) rassemble aujourd’hui 39 États, dont 7 ne font pas partie de l’Alliance atlantique (l’Autriche, l’Australie, l’Irlande, le Japon, la Corée du sud, la Suisse et l’Ukraine, candidate en 2021 et accueillie en mars 2022). Parmi les 28 centres d’excellence de l’OTAN, le CCDCoE est celui qui compte le plus de membres.

Progressivement, le CCDCoE réalise pour le droit numérique ce que le Comité international de la Croix-Rouge a initié au XIXème siècle pour le droit international humanitaire avec les Conventions de Genève. Le « Manuel de Tallinn relatif à l'applicabilité du droit international aux cyberopérations » ambitionne ainsi de transposer aux armes cybernétiques les règles de droit international applicables à l'utilisation des armes conventionnelles en période de conflits.

Rédigé, à l’invitation du CCDCoE, par des équipes de juristes volontaires du monde entier, le Manuel de Tallinn devrait publier en 2026 sa troisième révision

 

IHEDN
21/05/2024

 
Source : IHEDN