Les États-Unis ne seront plus un allié sûr. L’Allemagne vire à 180 degrés. Cette semaine, le Bundestag a discuté d’un endettement massif pour ses infrastructures et son réarmement. Une révolution pour une Allemagne accrochée au pacifisme qui se croyait protégée par l’ Amérique. Et pour la France, le courage de mieux expliquer qu’une autonomie stratégique européenne respectée des empires est possible à moyen terme.
Le débat exceptionnel a débuté le 13 mars au Bundestag. L’assemblée devait voter trois projets de changements constitutionnels :
- approuver la modification de fond de la très stricte règle du « frein à l’endettement » (elle interdit d’emprunter plus de 0,35 % du PIB chaque année) pour financer la défense;
- créer un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur dix ans pour remettre à niveau les infrastructures dans le le ferroviaire, le numérique, l’énergie et l’éducation;
- autoriser les régions à s’endetter pour financer leurs investissements.
Le chancelier Olaf Scholz avait annoncé une « Zeitenwende 2.0″ en 2022. A vrai dire, rien n’avait bougé dans une Allemagne prudente, atlantiste et …vieillissante
En quatre mois, un monde stable et rassurant s’est effondré outre-Rhin.
Tout a commencé à changer avec le choc de la victoire de Donald Trump. Un choc énorme, bien plus qu’en France. Mais même à la « conférence de sécurité de Berlin »(fin novembre 2024) entre spécialistes, le sujet était soigneusement mis sous le tapis.
Puis est venu le choc du violent discours du vice-président américain J. D. Vance lors de la conférence de Munich assénant, le 14 février, que les Etats-Unis ne se battraient pas pour une Europe qui ne partage plus les mêmes valeurs que les États-Unis.
Encore 10 jours, et c’était au tour du président d’Ukraine, Volodymir Zelensky, d’être humilié en public dans une embuscade probablement préméditée à la Maison Blanche.
Monsieur Friedrich Merz, chef de la CDU et très probable futur chancelier, a impulsé ces revirements . Il appelle à une indépendance stratégique des Européens envers les États-Unis, au développement d’une Europe de la défense et demande à «débattre de l’extension du parapluie nucléaire français». Le 5 mars, il avançait ses trois projets d’énormes changements constitutionnels.
Selon un sondage de la ZDF, le virage politique semble encore soutenu par 76 % de la population allemande, même si certains doutes ont commencé à apparaitre .Changement d’ère pour un peuple marqué par 80 ans de pacifisme : la proposition a des soutiens dans tous les courants politiques, de l’AFD jusqu’à die Linke !
Le vote final du Bundestag a eu lieu le 18 mars. Il n’était pas acquis d’avance. Le soutien des élus écologistes était nécessaire pour atteindre une majorité des deux tiers. Cet objectif ardu a été atteint. Cependant les débats s’annoncent compliqués et incertains au Bundesrat.
Par ailleurs, le soutien de la population semble s’effriter un peu . Pour l’instant, les annonces budgétaires rassurent une population sous le choc. Pourtant les redéploiements de crédits qui les accompagneront pourraient refroidir le soutien de ménages attachés à leur train de vie.
Rien ne sera pour autant résolu si, comme il faut l’espérer, les mesures sont votées.
La remise à niveau des infrastructures prendra au moins 10 ans. L’appareil industriel fondé sur l’automobile, les machines-outils et l’export vers des marchés qui se ferment devra se reconvertir. La mue vers une industrie de défense centrée sur les échanges intra-européens sera douloureuse.
Une cure amère qui prendra du temps, des capitaux et une main d’œuvre qui reste à trouver.
Quant à la Bundeswehr et à la Bundesmarine, elles manquent d’expérience opérationnelle, sont mal taillées pour des opérations de projection et surtout souffrent de sous-équipement et d’un grave déficit humain. Nous savons bien qu’il faut 15 ans pour bâtir une armée professionnelle.
Le complet virage de la politique allemande aura toutefois un impact décisif en Europe et en France. Il faudra donc l’encourager, aider aussi nos camarades allemands, s’ils le souhaitent. L’Allemagne est au cœur de l’Europe et elle a l’économie la plus forte du continent. Mais elle n’a pas les capacités pour prendre un leadership européen sur la défense et cela serait certainement mal accepté par nombre de ses voisins. Le leadership européen est aujourd’hui partagé de fait entre la France et le Royaume-Uni. Pour garantir la défense de l’Europe par les Européens, il reste donc à définir un nouveau partage réaliste du leadership avec la Pologne, l’Allemagne, peut-être d’autres pays volontaires, coordonner avec ceux-ci la montée en puissance de la dissuasion conventionnelle européenne, repenser avec les Britanniques le discours sur la couverture des intérêts nationaux des Européens intéressés par la dissuasion nucléaire des deux pays, probablement les rassurer en expliquant qu’elles resteront complémentaires de la dissuasion américaine, aussi longtemps que celle-ci sera stationnée sur le sol européen.
GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF.
25/03/2025