Le ruban rouge du courage

En six semaines, le couple Vance-Trump a mis à bas l’ordre international multilatéral, qu’il veut remplacer par la loi de la jungle dans un monde divisé en trois blocs impériaux: Etats-Unis, Chine et Russie. Décidé à « pivoter » vers l’Asie, il instaure l’intérêt exclusif du plus fort dans un système transactionnel entre »forts » qui autorise le racket des faibles, dans l’indifférence aux alliances et aux grands équilibres mondiaux.

Le 28 février 2025 a scellé cette bascule stratégique avec la mise en scène préparée (?) d’une grossière embuscade et un affront diplomatique inexcusable.

Honte pour la démocratie et la diplomatie américaine, qui sera longue à laver.

Salut et respect au président ukrainien  pour être resté maître de soi et avoir rappelé que son peuple est souverain.

Dans la foulée, le pouvoir moscovite applaudit et Trump s’apprête à discuter avec son homologue.

Pour nous, Européens, c’est l’heure du décrochage entre les deux rives de l’Atlantique (hors Canada).

Lorsque l’aigle attaque et mord, il vaut mieux garder calme et sang-froid et se tenir prêt à taper. « Une crise est une opportunité  de cingler sur un vent dangereux » disent les Chinois pour qui les deux mots ont la même racine.

Nous pouvons commencer la semaine et le mois en partageant cet optimiste raisonné. La position de la France et des pays européens est difficile mais elle est aussi la possibilité tant espérée de sortir enfin de la procrastination, des demi-mesures et des effets d’annonce.

Car la réalité est là : l’Europe n’a plus ni filet de sécurité sérieux ni bienveillant parrain protecteur.

Aucun intérêt pour la France, en de tels moments, d’entonner l’air du »on vous l’avait bien dit ».

Alors on peut bien écouter encore mais ne surtout pas donner raison aux vieux hérauts de la diplomatie de sécurité en Europe, aux avocats de la paix par les affaires avec la Russie ou aux défenseurs de la ‘Russie agressée.’ Car il n’est plus temps de proposer à nouveau les vieilles et tortueuses « mesures de confiance » des années 1990 qui verraient par exemple le renforcement de l’OSCE et la résurrection de l’acte final de la CSCE[1] ou du traité CFE[2].

Ce dimanche 2 mars, 15 dirigeants européens, le premier ministre canadien et la commission européenne paraissent avoir choisi le « ruban rouge du courage », avec lucidité, avec raison et avec réalisme. Autour du président ukrainien, ils affichent leur soutien unanime et total à l’Ukraine, sans fermer la porte à une coopération ‘behind the door’ avec l’Amérique de Trump.

Sonner le branle-bas, c’est appeler au sursaut des âmes et à l’union des armes. Car il n’y a plus le temps!

Il n’est plus temps de disserter entre spécialistes de l’extension de la dissuasion nucléaire française à l’Europe. Mais plutôt de régler au niveau politique et préparer au niveau militaire le déploiement d’une force de Rafale N en Allemagne ou en Pologne. L’AAE a démontré son savoir-faire dans le déploiement de BOAT[3]. Pas besoin de mots, le geste suffit.

Il n’est plus temps de discuter du montant et du fléchage des 8 milliards du FED[4] ni de débattre des règles d’utilisation du milliard et demi  d’euro de l’EDIP[5] . Mais plutôt de pousser au vote express d’un budget de défense européen financé sur les actifs russes et par l’emprunt. Puis prenant modèle des achats groupés de vaccins construits par M Breton, centraliser les achats d’obus, de drones et de missiles et financer directement l’industrie de défense de l’Ukraine.

Il n’est plus temps enfin de disserter interminablement sur la faisabilité ou non d’une armée européenne et de s’enliser dans la mise sur pied d’une poignée de « battle groups ».

Car demain Trump concèdera un probable cessez-le-feu à son compère – nonobstant l’évidence que la Russie a besoin d’une pause pour reconstituer une armée saignée et désorganisée et pour satisfaire une population malade de la détérioration des services publics et de l’appareil productif ,hors défense.

Il faudra alors garantir, toutes affaires cessantes, la sécurité des Ukrainiens et dissuader  un rallumage de l’aggression russe. Et pour cela projeter des forces d’action rapide en Ukraine dont l’essentiel ne pourra être que français et britannique sous un système de commandement commun dont les deux armées ont l’habitude. L’utilisation des structures techniques de l’OTAN, avec l’abstention tacite des Américains mais avec l’intégration d’officiers ukrainiens, pourraient ainsi constituer un cas d’école et un laboratoire de la défense européenne.

Par la grâce des imbéciles errements du couple Vance-Trump, le parrainage américain visant à imposer leur influence dominante en Europe est derrière nous. L’espoir d’une intégration de défense européenne est à portée de main.

Recommandons aujourd’hui la construction de ce nouveau modèle.

Macron zelensky

GCA (2S) Robert Meille
Vice-président de l’ASAF

[1]CSCE: Conférence sur la sécurité et la confiance en Europe. Acte final signé et 1975 et approfondi en 1980

[2]CFE : Forces conventionnelles en Europe signé en 1990

[3]BOAT: une  base opérationnelle avancée temporaire est une base aérienne conçue comme un point d’appui complémentaire d’une base permanente de l’AAE; son aménagement est relativement limité et rustique

[4]FED:  le fond européen de défense pour financer la recherche, encourager la coopération et faciliter des acquisitions conjointes

[5]EDIP: le  programme pour l’industrie européenne de la défense pour améliorer la compétitivité et la réactivité des industries de défense européennes et soutenir la modernisation de celles de l’Ukraine