Au nom de ma famille, je veux remercier la Marine nationale qui rend hommage à notre oncle Hubert Amyot d’Inville pour le 80ème anniversaire de sa mort au combat. Nous sommes très honorés de la présence du Vice-amiral d’escadre Jean-François Quérat, Préfet maritime de l’Atlantique, qui préside cette cérémonie ; et du Contre-amiral Pierre de Briançon, commandant la Force maritime des Fusiliers marins et commandos. Merci au Capitaine de Frégate Serge Groutsch qui commande le Bataillon des Fusiliers marins, organisateur de cet anniversaire
La famille était déjà présente à Brest lors de la présentation au fanion et passation du drapeau de la DBFM il y a trois ans et demi. Nous sommes heureux et fiers que – après deux avisos – son nom ait été donné à un Bataillon dont les missions de surveillance, d’intervention et de protection sont essentielles. N’y a-t-il pas plus utiles et courageuses missions que celles de surveiller et d’intervenir pour protéger ?
Nous n’avons pas connu notre oncle Hubert mais nous avons eu de nombreux témoignages. Les Compagnons de la Libération Jacques Bauche et Elie Touchalaume – que j’ai connus à Paris dans les années 60 – m’en parlaient avec respect et admiration. Notre oncle avait deux surnoms : « L’astuce » car il était malin, ingénieux et ne manquait pas d’humour. On l’appelait aussi « Amiral » alors qu’il avait à peine 33 ans, car il avait les qualités d’un véritable chef, sachant commander mais aussi imaginer. Ecouté et respecté, il ne manquait pas d’audace.
Parenthèse : curieusement mon frère Philippe, qui lui ressemblait physiquement et qui était son filleul, était appelé « Général » dans le scoutisme. Et tout ce qu’il entreprenait devenait un succès.
Je laisse Elie Touchaleaume décrire notre oncle: « Son mépris du danger, son flegme, sa noblesse de cœur, sa chance, sa silhouette enfin, étaient légendaires dans l’armée française du Moyen-Orient. (…) C’était un grand garçon, un peu grêle, au front haut, au regard perçant avec un profil d’oiseau de proie, d’âme généreuse, de cœur très jeune et très pur comme son sourire, avec un caractère sérieux, appliqué , obstiné même. Et des manières franches, ouvertes et bienveillantes ».
Autre portrait dressé par Roger Barberot, qui était sous ses ordres et qui deviendra ambassadeur : « Il ressemblait à un renard. Toujours calme et froid avec un air mi ironique, mi étonné et un éternel rire rentré. Il était tenace, prudent, organisé. »
Notre oncle avait deux passions : la mer et l’aventure. La mer, il l’a d’abord vécue pendant une dizaine d’années. N’ayant pas pu entrer dans « La Royale » car, atteint de coxalgie, il a été soigné plusieurs années à Roscoff : déjà vue sur mer …et le Finistère. Après l’Ecole de la Marine marchande à Nantes il navigue sur toutes les mers du monde – une véritable aventure – et devient capitaine au long cours sur la ligne Marseille-Madagascar.
A la déclaration de guerre, il reçoit le commandement d’un groupe de dragueurs de mines. A deux reprises « La trombe II » va sauter. Le jeune commandant s’en tire les deux fois. Il reçoit la Croix de guerre. Plus tard, en juin 1943, deux mois après la mort au combat de mon père qui faisait partie de l’Armée d’Afrique, il écrit à ma mère : « J’ai pensé que je devais continuer la guerre dès juin 1940 ».
La guerre, il va la vivre de façon intense. L’une des plus belles pages est la victoire de Bir Hakeim, sous les ordres du Général Koenig. Bir-Hakeim : ce nom a été donné à la promotion de Saint-Cyr 1961-63. Mais aussi à un pont à Paris. Un pont comme pour relier les hommes. Les futurs maréchaux Leclerc et Koenig sont d’ailleurs venus à Beauvais en juin 1945 pour rendre hommage aux trois frères morts pour la France.
Le souvenir de mon oncle Hubert et celui de ses frères et sœurs à Beauvais étaient parfois évoqués chez mes grands-parents dans leur propriété de la Morandière à Louvigné de Bais. On se souvient notamment des « sapins de l’oncle Hubert », plantés au sud de cette propriété en Ille et Vilaine.
Permettez-moi, en passant, de saluer amicalement M. Thierry Pigeon, maire de Louvigné et son épouse Sylvie qui ont redonné vie, notamment de manière équestre, à la propriété de notre enfance.
Page familiale peut-être un peu longue mais, je crois, importante. Mes grands-parents étaient très discrets, surtout mon grand-père qui se réfugiait dans le silence de son potager et de son atelier. Sans doute se souvenaient-ils de la perte de leurs quatre propres frères pendant la « grande guerre » : Jacques et Jean pour mon grand-père ; Daniel et Henri d’Aubigny pour ma grand-mère.
Ensuite, la seconde guerre mondiale ne les a pas épargnés : mon père, Jacques, Saint-cyrien, officier de Légion, tué fin avril 1943 en Tunisie. Puis Hubert, l’oncle marin, il y a juste 80 ans ; puis Gérald, l’oncle prêtre, forte personnalité lui aussi, mort en déportation en janvier 1945 en véritable martyr. Ce n’est pas fini puisque la fille qui suivait, Anne, épouse d’officier, est décédée à Madagascar fin 1945, laissant quatre filles. Soit huit morts, dont sept pour la France, pendant les deux guerres.
De mes grands-parents il ne restait que la fille ainée et le dernier. La première, Odette, religieuse, a passé plus de 70 ans derrière les barreaux de son Carmel à Beauvais : isolée et si proche de la famille. Et le dernier, Guy, officier lui aussi, revenu de près de cinq années de captivité après avoir été blessé.
Alors tristesse ? Surtout pas. Les quatre frères étaient de joyeux lurons. Mon père était responsable des chahuts dans sa promotion de Saint-Cyr. L’oncle marin était, comme on le sait, surnommé « L’astuce ». Et Gérald, le prêtre, était rusé, roublard, actif : il est à l’origine, à Senlis, du seul lycée public français qui porte le nom d’un prêtre, le sien. Il remontait le moral des autres déportés avant de mourir d’épuisement en janvier 1945.
Optimisme transmis à la génération suivante : mon frère ainé, Jacques, qui a passé plus de 50 ans en Afrique – il réside aujourd’hui à Bry sur Marne – était surnommé « Le porteur de joie ». Mon frère Philippe avait pour adjectifs de totem scout : « hilare » et « boute-en train ».Mes deux soeurs et moi avons été contaminés. Notamment, aussi, par notre mère – car il ne faut pas oublier les femmes – dont la famille paternelle était d’ailleurs originaire de Lannilis : tout près d’ici, à 15 kilomètres de Brest. D’ailleurs son nom commençait par « Ker ».
L’histoire du marin et de ses frères a été racontée, notamment dans l’ouvrage de Patrick de Gméline « Quatre frères pour la France », édité par Charles Hérissey.
Au fond, leur triple devise, notamment celle de notre oncle, devait être : vouloir servir ; savoir rire ; falloir agir.
Mais revenons à la mer car j’ai beaucoup parlé de la famille.
Pour conclure, permettez-moi de citer le navigateur breton Olivier de Kersauson. Il est bien l’homme le plus connu dans le monde de la mer. Comme mon oncle, on l’appelle « Amiral », alors que c’est son frère qui l’était. Dans une formidable interview à Jérôme Cordelier dans le magazine Le Point qui vient de paraitre ce 23 mai, il affirme : « Nous n’avons pas le droit de rester dans la peine. (…). Nous avons un devoir d’enthousiasme, de joie, de vie, de ne pas prendre au sérieux tous nos malheurs. Surtout à l’égard de ceux qui n’ont pas la possibilité d’être heureux ».
Allocution de Jean Amyot d’Inville.
Brest, 10 juin 2024
Source : ASAF