La guerre tire à sa fin, la paix n’est pas pour demain. Un arrêt des combats en forme de victoire trumpienne devrait enclencher une désescalade qui va prendre son temps.
Le tournant stratégique brutal de l’administration Trump 2 opéré depuis deux mois semble irréversible ; il est soutenu par une opinion publique américaine qui adhère à sa logique et s’habitue à ses excès.
Il clôt l’ère stratégique de l’après-guerre froide et ouvre une séquence transactionnelle brutale
La cause ukrainienne a perdu de son assurance. C’est le moment de faire un état des lieux
I- Etat des lieux stratégiques : l’inquiétude prévaut
Elle résulte de l’imprévisibilité du 47eème POTUS qui est soutenu par une équipe baroque. Ce président réélu n’est pas un professionnel de la politique et reste un dealer compulsif et chevronné qui s’est acheté une seconde présidence des États-Unis pour offrir au peuple profond qu’il sert une nouvelle ère de prospérité par la fin des conflits armés. Le Kremlin du président Poutine et de ses comparses est de son côté beaucoup plus prévisible et bien servi par une forte administration économique, diplomatique, économique et répressive, héritière de la machinerie soviétique. Face à ces hommes forts, les pays européens désemparés mesurent leurs lacunes militaires et industrielles. Engagés quasi unanimement depuis le début du conflit ukrainien dans le soutien à Kiev dont ils admirent la vaillance et la détermination, ils se savent incapables de tenir à bout de bras l’Ukraine à la façon américaine. Ils se découvrent vulnérables et redoutent qu’une offensive russe sur la ligne de front ne balaient les faibles défenses des pays européens les plus exposés, les baltes pourtant pays de l’Otan et les moldaves isolés aux confins roumains (LV 260, L’Europe KO).
Fin de l’ancien régime de solidarité transatlantique
Nous voici face au défaut stratégique annoncé des Etats-Unis à l’égard des alliés et protégés de Washington. Cette attitude déconcerte les forces politiques américaines panique Londres, estomaque des Allemands alignés sans solidarité européenne, hystérise les pays européens de la ligne de front brutalement exposés sans garantie et stupéfie la présidence ukrainienne habituée aux égards et au droit de tirage sur les finances européennes et les armes américaines. Elle ruine d’un seul coup la crédibilité de l’Alliance atlantique et le mythe commode d’un article V qui serait une réassurance de la plus forte puissance militaire du monde. Le transatlantisme, assurance vie de la guerre froide relève désormais d’un ancien régime périmé et nul n’imagine une possible restauration de la confiance. Pour la France, c’est la réhabilitation de sa posture nucléaire stratégique autonome qui la distingue de ses voisins et la désigne désormais comme un dernier recours possible pour les Européens (LV 261, Fracture transatlantique).
Péremption de l’insouciance pacifiste européenne : désillusion générale
A l’abri de la réassurance américaine dans l’Otan, les pays européens avaient négligé d’entretenir leurs moyens militaires sauf pour consolider leurs exportations d’armement fratricides encouragées par la Commission européenne pour libérer leurs forces. Aucune dynamique collective de sécurité ne pouvait s’établir dans cette UE confinée dans les missions subalternes « de Petersberg » laissant à l’Otan l’exclusivité de la défense collective, les Britanniques y veillaient. Les États membres européens, nations alliées dans l’Otan, abonnés aux capacités et partenariats de l’Otan, et même les neutres, faisaient la sourde oreille à la défense européenne. Tous furent sermonné sur la menace russe et ses dangers par les nouveaux venus libérés du Pacte de Varsovie en 1999. Toute requête d’autonomie stratégique européenne leur semblait incongrue. Le projet européen d’une intégration toujours plus forte dans l’UE n’a produit aucune identité stratégique ni aucun patriotisme européen pour faire face à une menace commune comme celle de la pression russe. On serait bien en peine d’énoncer aujourd’hui des intérêts vitaux européens suscitant un sursaut de défense commune.
II – Faire face à la menace russe ressentie par des Européens : le cas de la France
Regardons ce qu’implique pour la France ce défaut américain accompagné de cette connivence américano-russe affichée qui déclenche la panique européenne. Voyons comment la France à l’abri de sa dissuasion nucléaire autonome peut en limiter les inconvénients voire en tirer bénéfice. Agissons vite pour encadrer les effets de la tempête que suscitent l’annonce solennelle par Paris d’une menace russe et du réarmement massif qu’elle semble exiger des Français dans un contexte national de crise politique et économique aigu. (LV 257, France faillie)
Défaut américain : deux effets positifs sur notre sécurité et un danger majeur
A long terme, le relatif découplage stratégique transatlantique rend possible le découplage russo-chinois. Washington ouvre la porte du business collaboratif à une Russie poussée à l’exil en Asie. En frottant son économie et son peuple aux normes libérales, la Russie penchera un jour vers son versant européen à distance de la tutelle chinoise. C’est inespéré. Castex l’avait prédit et Mac Kinder redouté.
A court terme et malgré Londres, l’identité stratégique des pays européens se déverrouille et la posture nucléaire française offre un dernier recours possible. La France valorise enfin sa singularité. Et c’est tant mieux.
En revanche, l’accent mis sur la guerre économique à outrance est un défi radical de guerre commerciale (via les droits de douane) et juridique (extraterritorialité) dont les défis marchands vont s’amplifier. Or on a tout à redouter d’une guerre financière lancée pour stopper la dédollarisation et d’une guerre technologique via l’IA dans la Tech menée par les deux rivaux systémiques planétaires. Car l’UE fondée sur la rigueur budgétaire et la concurrence entre Etats membres risque de se diviser.
Quelle feuille de route s’impose dès lors à la France ?
D’abord de consolider le rôle central que joue dans sa sécurité la dissuasion nucléaire stratégique qu’on ne peut dévoyer par l’acceptation implicite du combat de haute intensité où l’on rechercherait la supériorité dans un cadre militaire multinational (LV 254, Initiative, escalade et seuil). Puis d’éviter la déroute de l’Ukraine, de rassurer les Européens de la ligne de front, de mettre le Kremlin en garde en manœuvrant la dissuasion nucléaire puis de réviser la grammaire nucléaire stratégique issue de la Guerre froide devenue d’un seul coup obsolète. Plus tard enfin de planifier un retour à une coexistence pacifiée sur le continent européen et à une concertation stratégique raisonnée pour affermir la place des Européens dans une planète de plus de 8 milliards d’habitants.
Ne pas changer de concept de défense en pleine incertitude stratégique.
Ce serait bien imprudent. Le cœur de sa défense est depuis soixante ans sa dissuasion nucléaire stratégique autonome qui protège de toute atteinte ses intérêts vitaux. A cette garantie autonome qui la caractérise, elle consacre une grande part de ses budgets militaires. Pourtant la dissuasion nucléaire stratégique française n’a encore joué aucun rôle public pour rassurer les Européens et mettre en garde les Russes. Elle n’a pas été manœuvrée. Seul Etat-membre doté de sa force nucléaire, la France a jusqu’ici choisi de soutenir l’Ukraine dans un cadre euro-atlantique, hors publicité nucléaire. C’est qu’elle est confrontée à deux impératifs de cohérence stratégique difficiles à décliner.
Le premier est de ne pas chercher à remplacer la puissance militaire américaine car son modèle diffère. Si la France peut continuer à signifier que ses intérêts vitaux ne diffèrent guère de ceux de ses voisins européens, elle ne peut définir ni parapluie, ni couverture, ni parler de partage ou de stationnement nucléaire de réassurance chez un voisin … Sa force nucléaire stratégique reste strictement nationale et c’est d’abord à l’adversaire russe d’évaluer la dimension européenne des intérêts vitaux français et pas à Paris de les préciser au profit de ses voisins. Mais on peut manœuvrer la dialectique dissuasive de multiples façons pour dissuader Moscou de tout coup facile sur nos voisins les plus exposés ou les plus fragiles. On peut avec eux contenir la tentation d’intervention russe directe sur leurs fragilités sans tester notre posture nucléaire. On dispose d’un catalogue de précautions militaires comme le déploiement d’un rideau défensif de forces agissant en détonateurs. On peut contrer activement les mesures de déstabilisation non militaires de l’adversaire dans le champ immatériel de la guerre informationnelle et de la lutte cyber et pratiquer la contre ingérence face à sa pression. Et en cas de tension croissante, on peut lancer des avertissements, militaires ou non, solennels ou non, collectifs ou non, en ciblant les multiples vulnérabilités de l’adversaire, déblocage progressif des avoirs russes consignés en Europe, saisie des biens oligarchiques, entrave à leur circulation ou leurs activités, agir par des mesures offensives de guerre cyber ou financières jusqu’à donner un coup ciblé conventionnel sur des intérêts russes hors d’Europe voire un coup de semonce sans frais proche d’un centre stratégique … La dissuasion nucléaire se manœuvre. Et si la dissuasion n’est pas partageable, l’intimidation peut l’être.
Le second impératif est plus délicat à mettre en œuvre, il s’agit du renforcement de nos forces conventionnelles pour les rendre plus redoutables. Mais il ne s’agit pas de mener des combats de haute intensité comme on aime à le présenter mais de réaliser des manœuvres de protection de nos voisins fragiles. Notre choix de la primauté de la dissuasion exclut l’acceptation de la bataille rangée. Il est dès lors difficile d’apprécier nos besoins réels alors qu’on est tenté de se doter des moyens actuels du champ de bataille terrestre à l’exemple convaincant des forces ukrainiennes aux développements ingénieux et à bas coût. Les leçons apprises du front depuis deux ans ne sont pas applicables à nos forces qui ne seront pas taillées pour combattre les forces russes mais pour protéger nos voisins fragiles. Laissons à d’autres armées européennes le soin de se doter d’armes du champ de bataille.
Les forces armées dont la France a besoin aujourd’hui sont d’abord celles qui servent ses forces nucléaires, ses moyens de renseignement, de communication et de surveillance aérienne et spatiale, puis les forces de réassurance conventionnelle de ses voisins et les trains logistiques associés (voir Une nouvelle armée de terre et Armée de terre de demain). Enfin les forces de souveraineté ultramarine et de régulation stratégique dans le monde, partout où la France a des intérêts et des responsabilités. C’est déjà beaucoup.
III – Sur le terrain où en sommes-nous ? Ukrainiens et Russes sont à bout
La Vigie a régulièrement fait le point des opérations en présentant une appréciation militaire et une appréciation géopolitique (dernier billet paru : Billet 108 du 16 mars 2025). Que dire d’un point de vue stratégique ?
La défaisance ukrainienne actée à Washington n’est pas une déroute.
Car la nation ukrainienne a gagné de vive force ses droits à une existence en tant qu’Etat-nation respecté. Et on l’aidera à se reconstruire. Mais faute d’avoir voulu ou pu établir une structure fédérale regroupant dans ses frontières légales de 1991 ses trois entités constitutives (l’Ouest, l’Est et la Crimée), elle devra se replier à l’Ouest sur le terrain de ses 80 % de citoyens libéraux et patriotes. Ses buts de guerre de reconquête totale de son territoire légal sont inaccessibles par le combat malgré la réactivité de ses forces. L’Ukraine en guerre devra s’aligner sur le canevas d’arrêt des combats décidé à Washington sans discussions. Mais amputée des 20% de son territoire légal de 1991 qui était pourtant garanti inviolable par le protocole de Budapest de 1994, elle devrait retrouver une homogénéité qui lui faisait défaut.
Réévaluation à la baisse de la menace militaire russe sur les pays européens.
On a probablement surcalibré les buts de guerre du Kremlin ; ils n’étaient sans doute pas d’envahir toute l’Ukraine mais de la neutraliser. Cette erreur d’appréciation qui s’est propagée a dopé la guerre. Moscou voulait d’abord protéger les citoyens Est-ukrainiens russisés (russes ethniques et russophones historiques) de l’assimilation par leurs concitoyens Ouest-ukrainiens libéraux forcée militairement à partir de 2018. En 2025, les buts de guerre russes, outre la neutralisation de l’Ukraine de Kiev, semblent être de stabiliser le front des combats le long du Dniepr et de recouvrer militairement la quasi-totalité des oblasts déjà intégrés politiquement dans la Rodina russe. Un cessez le feu interviendra bientôt quand la situation militaire vu de Moscou le permettra et quand Washington mettra le bon prix dans la balance. Il est peu probable que l’on parle d’emblée de plan de paix au long cours. Il ne viendra qu’ultérieurement.
On a craint que la menace militaire de la Russie gagne ses marches européennes et caucasiennes où existent également des minorités russisées et mal assimilées dans des Etats tournés vers l’UE. Mais cette menace souvent exprimée relève de l’intimidation russe et de l’aventurisme des radicaux européens et a peu de chance de se concrétiser après les dégâts causés par la guerre ukrainienne. Il faudra cependant surveiller le sort de ces marches russisées et y respecter les équilibres communautaires réels, le Vice-Pdt US l’a claironné aux Européens. De même, il faudra se préparer à y faire face à des menées subversives et à des tests russes de notre réassurance militaire française.
IV – Retour gagnant : dissuasion nucléaire, défense européenne, réarmement.
Après le défaut américain, les élections allemandes, les inquiétudes britanniques, les sommets variés, la France a été identifiée par ses partenaires européens comme le dernier recours nucléaire possible et on l’a pressée d’évoquer sa posture nucléaire stratégique. Elle l’a fait mais a replacé par réflexe la concertation militaire dans le cadre multilatéral européen rebaptisé en EU 5 qui a aussitôt resollicité les Etats-Unis.
Dissuasion nucléaire trois fronts de débats à ouvrir en express à Paris.
1/ Un front européen de discussions approfondies à valeur initiatique et pédagogique doit aborder la dialectique stratégique française des intérêts vitaux (l’incertitude et non l’ambiguïté). Il portera ensuite sur l’unité de commandement inaltérable de ses forces nucléaires, la suffisance de l’arsenal nucléaire français, la complémentarité entre frappe en second de la composante balistique intercontinentale et avertissement des composantes aériennes (en raid massif, Poker, en mobilité permanente, FANU). Il rappellera que l’effet recherché n’est pas l’emploi apocalyptique de la frappe nucléaire massive et imparable (l’emploi nucléaire, c’est l’échec) mais ce coup mortel en rétorsion insupportable et inévitable qui rend la guerre inacceptable. Ces consultations déjà lancées doivent s’approfondir.
2/ Un débat complémentaire politique sur la réassurance nucléaire que peuvent requérir de la France les Etats-membres de la ligne de front qui le souhaitent doit être ensuite ouvert. La solidarité stratégique européenne d’une puissance nucléaire comme la France est implicite ; pour autant il ne s’agit pas créer une dissuasion européenne, c’est un leurre sémantique. Un club réduit ad-hoc de pays concernés est à constituer hors UE sans doute avec la Pologne, les Etats baltes, l’Allemagne et l’Italie et la Grande Bretagne (en raison des accords de Lancaster house). Si ce club militaire dissuasif de pays volontaire se forme, il devra éviter toute formalisation organique, se garder des formules bureaucratiques périmées de pilier européen de l’Alliance ou de coopération renforcée de l’UE. Il devra conserver l’esprit opérationnel de la contingence sous l’autorité d’une chaîne d’information nucléaire linéaire pilotée par une simple Quad. Il n’y sera pas question de plans nucléaires, de ciblages ou de niveaux d’alerte qui resteront réservés. Mais on pourra y tabler collectivement sur la visibilité et la mobilité de la composante aérienne stratégique française pour des simulations ou des déploiements d’intimidation ou d’avertissement. Ce club devra réfléchir au couplage dissuasif à réaliser avec le grand bouclier anti-missile qui a la faveur de Berlin.
3/ Un front stratégique de communication française puis européenne vers la Russie pour avertir le Kremlin de l’intouchabilité militaire absolue des pays de l’UE. On pourra vouloir restaurer ou amplifier une ligne directe d’alerte nucléaire anti-méprises entre FNS françaises et leurs homologues russes capable d’annoncer notre manœuvre dissuasive. Nos adversaires russes qui en partagent la logique ont montré leur grande aptitude à manœuvrer cette dialectique à leur profit. On peut aussi demander au Conseil européen une mise en garde solennelle de la Russie sur la protection des Etats membres de l’UE en évoquant le traité de Lisbonne et son article 42-7. On doit saisir ce moment actuel pour aborder, une fois le contact avec Moscou établi et nourri, la question des armes nucléaires de Kaliningrad, puis la place spécifique des forces tierces françaises et britanniques dans la régulation nucléaire du continent européen.
Défense européenne : deux fronts de déploiement conventionnels à considérer
En matière de déploiement éventuel de forces européennes sur le théâtre ukrainien après une trêve ou un cessez-le-feu, la sécurité coopérative sera impérative. Aucun déploiement opérationnel sur le sol ukrainien ne sera possible sans accord formel de la partie russe et concertation soignée sur la couverture aérienne des forces déployées en Ukraine. La France et le Royaume Uni, puissances nucléaires dotées, devront éviter tout cantonnement permanent sur le sol ukrainien. Après un arrêt des combats et un retrait des forces à distance de la ligne de front, on devra conserver assez de marge pour renforcer notre main politique et militaire et éviter toute provocation, tout retour de flamme des forces ukrainiennes au contact et toute poussée additionnelle russe.
1/ Un front politique et industriel sur la nature du réarmement de la France en étoffant et durcissant les forces (« plus de brigades, d’escadrons et de frégates »), non dans une optique de combat direct de haute intensité de forces intégrées au sein de grandes unités multinationales européennes comme souvent imaginé mais dans une logique de manœuvre nationale de forces mobiles de contrôle, d’appui et d’arrêt déployés dans les pays de l’UE, à l’arrière de la ligne de cesser le feu qui s’établira avec un positionnement offrant une capacité de réaction rapide. Dans ce domaine, il faudra aussi veiller à se hâter lentement et à ne pas arriver à contretemps à la pleine capacité opérationnelle alors que le contexte stratégique devrait changer avant 2029. Il suffira d’afficher une capacité opérationnelle initiale avant 2027 pour valider la montée en puissance militaire française sur le front quand il se cristallisera après la trêve. La guerre ouverte ne reprendra sans doute pas dans les quatre ans mais nul ne connaît la suite car l’imprévisible reste probable.
2/ Une participation active au plan de mise en garde européen qu’a préfiguré le rassemblement symbolique des plusieurs chefs d’état-major et la réunion EU 5. Si l’économie de guerre peut encore relever du déclaratoire dans une France nucléaire, l’occasion est à saisir de sortir nos forces nucléaires des dépenses soumises aux critères de Maastricht du pacte de stabilité voire à faire financer leurs déploiements nucléaires par le club dissuasif de ses obligés. La France seule à offrir une réassurance militaire double, nucléaire et conventionnelle, renforcerait ainsi sa centralité dans la stabilité et la sécurité européenne. Et elle doit aussi pousser à financer le réarmement européen par ce grand emprunt collectif ReArmEurope de 800 G-euros imaginé par la Commission européenne et géré par elle, qui lui permettra de valoriser ses armements modernes, de renforcer ses forces conventionnelles et d’étoffer la BITD européenne. Il faut saisir ces occasions à la volée et adhérer d’emblée à ces perspectives.
V- Pour finir, réviser la grammaire nucléaire stratégique de la Guerre froide.
Nous avons mené pendant la Guerre froide une réflexion stratégique sérieuse, quasi philosophique voire anthropologique sur les armes nucléaires et leur contribution à la guerre, à la stabilité et à la sécurité de la planète. La France y a excellé par la voix de maitres qui s’y sont illustrés comme les généraux dits de l’apocalypse. Leur œuvre restera une vraie référence historique. Mais la dissuasion du fort au faible, celle du fort au fou, les frappes anti-cités et anti-forces portent la marque de leur temps, celui de la Guerre froide et de ses développements avec la prolifération nucléaire verticale par accumulation d’armes de plus en plus puissantes puis la lutte contre la prolifération horizontale et les mécanismes de contrôle des armements et des vecteurs balistiques puis celle des missiles intermédiaires … Il en est résulté des concepts comme les cinq principes de la dissuasion, la riposte graduée, le non usage en premier, la proportionnalité et la suffisance, les armes décapitantes, les détonateurs, les avertissements… Tous ces développements sont des étapes qui ont conduit l’arme nucléaire à jouer progressivement un rôle positif d’inhibition de la guerre ouverte entre Etats et à favoriser une certaine stabilité car « les puissances nucléaires ne se font pas la guerre ». On a vu en échange le cercle vicieux du terrorisme s’enclencher et susciter cette guerre globale contre le terrorisme dont nous ne sommes pas sortis.
Il va falloir réévaluer notre boite à outils conceptuelle et éviter de transposer par analogie les concepts de la grammaire nucléaire dans la guerre conventionnelle de haute intensité sauf à risquer des déconvenues et des impasses coûteuses.
Il faut proscrire les idées floues de dissuasion conventionnelle, de force conventionnelle de persuasion par accumulation de la masse de forces pour intimider l’adversaire, terminologie qui signifie l’acceptation du combat direct et la recherche de la supériorité militaire pour vaincre. Il faut aussi éviter les formules de dissuasion élargie, partage nucléaire, élargissement de parapluie, d’usage en dernier ressort, d’intimidation nucléaire, de dernier avertissement, ou de dépôts nucléaires hors de France, thèmes inaudibles par les opinions publiques, plus anxiogènes que rassurants et qui occultent surtout la spécificité majeure de l’explosif nucléaire, sa puissance incomparable et son maniement complexe et dangereux.
[i] La présente réflexion prolonge deux tours d’horizons effectués dans la Revue politique et parlementaire en 2024 : Dissuader la Russie d’attaquer un pays européen, le 8 mars et Réarmement stratégique de la France, le 14 avril. Elle actualise la réflexion parue le 12 mars 2025 dans cette même revue sous le titre Transition stratégique européenne. Sortir de l’ancien régime transatlantique, européiste et nucléaire.
Jean Dufourcq, stratégiste ;
fondateur et directeur de La Vigie.
Source : La Vigie
28 mars 2025