Commerce maritime, ingénierie, forces armées… À plus d’un titre, Djibouti constitue un pays éminemment instructif pour l’IHEDN. C’est pourquoi, du 10 au 14 janvier, les auditeurs des majeures « Politique de défense » et « Enjeux et stratégies maritimes » s’y sont rendus pour une mission d’étude.
Sur place, ils ont pu constater à quel point cet État de la corne de l’Afrique, situé à l’entrée du golfe d’Aden (passage entre la mer Rouge et l’océan Indien), revêt une importance géostratégique unique. D’une superficie de 23 200 km2 pour 1,136 million d’habitants, Djibouti, face au Yémen, contrôle avec ce pays le détroit de Bab el-Mandeb, qui voit passer une part non négligeable du trafic maritime mondial : 12% du volume total, 40% des échanges Asie-Europe et, par exemple, 90% des exportations japonaises (ces chiffres diminuent depuis le début de la crise avec les Houthis consécutive au conflit Hamas-Israël). En pleine expansion, le terminal à conteneurs de Doraleh, l’un des plus importants du continent africain, reflète cette position. Le pays est aussi un important « nœud » de câbles de données sous-marins, plus de 90 % de la capacité Europe-Asie étant acheminée par la mer Rouge.
À compter des années 2000, la France, qui stationne sur place des effectifs militaires depuis l’indépendance de Djibouti en 1977, a été rejointe par plusieurs armées étrangères : en 2003, les États-Unis y installent leur base la plus importante sur le continent africain (4 000 personnes aujourd’hui) ; le Japon les imite en 2011 avec sa première base à l’étranger depuis la Seconde Guerre mondiale ; c’est aussi le cas pour la base italienne implantée en 2012. Enfin, en 2017, c’est la Chine qui s’est installée, avec plusieurs milliers de militaires aujourd’hui et jusqu’à 10 000 à terme. Ajoutons à cela des contingents espagnols et allemands accueillis sur les emprises françaises dans le cadre des opérations de l’Union européenne.
Djibouti bénéficie à plusieurs titres de la présence de ces différentes armées. « Sur le plan économique, la France, les États-Unis, l’Italie, le Japon et la Chine versent un loyer annuel dont une partie est redistribuée au sein de l’appareil étatique », explique Brendon Novel, doctorant en science politique à l’université de Montréal et spécialiste de la corne de l’Afrique. « Cette rente et l’aide au développement dont ces pays sont d’importants pourvoyeurs constituent une part significative du budget de l’État. »
« UN ACTEUR GÉOSTRATÉGIQUE INCONTOURNABLE » GRÂCE À « UNE DIPLOMATIE PROACTIVE »
Le bénéfice est aussi politique et diplomatique. Le président djiboutien Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999, est à l’origine de cette stratégie. « Il a développé une diplomatie proactive pour faire de Djibouti un acteur géostratégique incontournable et attirer une diversité de partenaires sur son territoire afin de garantir sa sécurité, sa souveraineté et son développement économique », ajoute le chercheur :
« L’accueil de bases militaires est l’un des leviers qui permettent à Djibouti de s’affirmer durablement comme un partenaire clé dont la stabilité doit être préservée. Aujourd’hui, sa position géographique et l’instabilité environnante lui confèrent une image d’« îlot de stabilité » indispensable au déploiement des stratégies régionales de nombreux États, tant sur le plan géopolitique que géoéconomique. De ce fait, le nombre élevé de bases étrangères sur son territoire est le résultat d’une stratégie de diversification de ses partenariats qui vise à éviter toute dépendance politique et économique envers un seul acteur. »
Par ailleurs, selon Brendon Novel, « ces bases sont en partie perçues comme une garantie de sécurité. Leur présence pourrait en effet contribuer à dissuader des acteurs hostiles au pays de l’attaquer ». Parmi les cinq puissances militaires présentes à Djibouti, la France est la seule à avoir signé une clause de sécurité avec le pays d’accueil, en vertu de laquelle elle contribue à la défense de ses ses espaces aérien, terrestre et maritime.
Le Traité de coopération en matière de défense (TCMD) liant les deux pays a été renouvelé pour 20 ans en juillet 2024, et est en cours de ratification. Près de 1 500 militaires français issus des différentes armées sont basés sur place, en mission de courte durée (4 mois) ou de longue durée (3 ans) : armée de Terre, armée de l’Air et de l’Espace, Marine nationale sont représentées avec des soldats de différentes unités. « Notre relation avec nos camarades djiboutiens est très bonne », se félicite le général de division aérienne Sébastien Vallette, commandant les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) depuis le 15 août 2024. « Elle s’appuie sur des liens de respect mutuel, d’amitié et de confiance tissés au fil des années. Nous partageons des intérêts stratégiques communs. »
NOMBREUSES ACTIONS DE FORMATION AVEC L’ARMÉE DJIBOUTIENNE
Les armées des deux pays coopèrent donc fréquemment. « Nous opérons ensemble dès que les Forces armées djiboutiennes le peuvent, car elles sont déjà très engagées en Somalie », détaille le général Vallette :
« Cela passe notamment par des actions de coopération opérationnelle en complément de la coopération structurelle sous la responsabilité de la mission de défense de l’ambassade de France et des services de coopération de la sécurité intérieure djiboutienne. Nous effectuons de nombreuses actions de formation avec l’ensemble des forces de défense et de sécurité djiboutiennes, notamment la Gendarmerie nationale et la Police nationale. Par ailleurs, nous menons également ensemble des entraînements annuels d’envergure appelés WAKRI et AMITIÉ. »
Lors de leur mission d’étude, les auditeurs de l’IHEDN ont ainsi pu assister à une simulation de libération d’otages menée conjointement par les commandos de marine de l’armée française et le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) djiboutien.
La présence de la France et d’autres nations à Djibouti leur permet aussi de s’entraîner ensemble. « Les forces françaises entretiennent des relations ouvertes et cordiales avec l’ensemble des détachements militaires présents sur le territoire djiboutien », indique le général Vallette, qui précise ces relations :
« Une coordination de nos actions est nécessaire, afin d’opérer en totale sécurité et dans le respect total de la souveraineté des autorités djiboutiennes. Nous nous entraînons par exemple régulièrement aux côtés de nos homologues américains, et menons des activités conjointes avec d’autres représentations nationales. Par ailleurs, nous entretenons des liens étroits avec les missions de l’Union européenne (Aspides et Atalanta). »
En cours depuis le 19 février 2024, l’opération Aspides, aussi appelée EUNAVFOR Aspides, vise à protéger les navires marchands des attaques menées depuis le Yémen par les Houthis – plus de 590 bâtiments ont déjà été protégés jusqu’ici. Outre la Marine nationale, les forces navales ou militaires belges, italiennes, allemandes, grecques, roumaines, estoniennes, polonaises, finlandaises, lettones et néerlandaises y participent.
L’opération EUNAVFOR Atalanta, elle, est en cours depuis 2008 et consiste à protéger les navires contre les pirates partant des côtes somaliennes. Impliquant 24 pays de l’UE avec le soutien d’autres États (Colombie, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande…), elle a déjà permis de protéger 2 500 navires marchands et d’interpeller près de 200 pirates.
PRÉSIDENT MACRON : DJIBOUTI EST « AU CŒUR DE NOTRE STRATÉGIE INDOPACIFIQUE »
En plus de ces collaborations avec Djibouti et d’autres pays, les FFDj et les implantations militaires françaises sur place permettent à la France d’intervenir dans un arc très large, allant du Sahel au Moyen-Orient. « Le territoire djiboutien reste plus que jamais un point d’appui stratégique pour la France, qui y dispose d’une base opérationnelle avancée (BOA) équipée d’avions et de navires nécessaires à de nombreuses interventions », explique Brendon Novel. « Les FFDj ont donc déjà été mobilisées lors d’opérations, comme en Centrafrique et au Yémen. »
En situation de crise, la base française sert aussi de point logistique et de coordination pour l’évacuation de ressortissants français et étrangers. « L’opération « Sagittaire », déclenchée au début de la guerre civile au Soudan en avril 2023, a permis l’évacuation de près de 900 individus, dont 200 Français », rappelle le chercheur.
Plus récemment, en décembre 2024, les installations françaises sur place se sont avérées très utiles pour l’aide humanitaire transportée par l’armée à Mayotte après le cyclone Chido : plusieurs gros porteurs A-400M ont été mobilisés pour un atterrissage quotidien depuis l’Hexagone en passant par Djibouti et la Réunion. La France hexagonale se trouve à 5 500 km de Djibouti, qui est à 2 700 km de Mayotte.
Enfin, la présence à Djibouti est primordiale pour la stratégie indopacifique de la France, comme l’a rappelé le président de la République Emmanuel Macron lors de sa visite aux FFDj, le 20 décembre dernier :
« Ici […], nous sommes au cœur de notre stratégie indopacifique. Je l’ai formulée en 2018, mais elle avait commencé avec cette base bien avant. Et entre Djibouti, les Émirats arabes unis, nos forces armées déployées sur notre sol, les FAZSOI [Forces armées dans la zone sud de l’océan Indien, NDLR] en Réunion, eh bien, c’est ce triangle, si je puis dire, qui structure, avec les autres emprises, les opérations que nous pouvons faire en Océanie, plus largement dans le Pacifique. Cette stratégie indopacifique, elle ne serait pas possible militairement sans Djibouti. »
Source : IHEDN
04/03/2025