À l’occasion du salon Euronaval, l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine nationale, fait le point sur les grands enjeux auxquels est confrontée son armée : changement climatique, dissuasion nucléaire, prolifération des technologies, conflits en Europe de l’Est ou au Proche-Orient… Entretien.
VOUS AVEZ PRIS VOS FONCTIONS FIN 2023, À UN MOMENT OÙ LA MARINE NATIONALE EST CONFRONTÉE À UNE MULTIPLICATION DES ZONES D’OPÉRATION… COMMENT Y FAITES-VOUS FACE ? QUELLE EST VOTRE VISION POUR LA MARINE ?
Le contexte géopolitique est très conflictuel et il est volatile. Il est marqué par l’interconnexion des enjeux et une profonde instabilité.
Il y a quelques invariants. Le narratif nucléaire employé par la Russie et l’observation du conflit actuel en Ukraine confortent la dissuasion. De plus, les espaces communs, comme la mer, le cyberespace, par leur ambiguïté intrinsèque, restent des lieux privilégiés de conflit ou de confrontation avec nos compétiteurs. À cet état des lieux se superposent deux tendances de fond que sont la bascule environnementale et la prolifération des technologies.
Ce qui change dans le contexte actuel, ce sont la simultanéité des conflits, le niveau de violence croissant et la contestation de l’ordre international. Cette situation impose de durcir la Marine et de renforcer sa capacité immédiate à combattre, depuis ses bases jusqu’à la haute mer.
C’est l’objet du nouveau plan stratégique pour la Marine, dévoilé en mai dernier. La partie « temps court » du plan repose sur notre capacité d’adaptation et notre agilité pour préparer nos équipages au combat. En cycle court, nous avons amélioré les capacités de détection, de brouillage des frégates qui se déploient en mer Rouge, nous adaptons leur entraînement et nous renforçons les équipages de FREMM et de sous-marin pour qu’ils soient plus résilients.
Le deuxième temps, le « temps long » du plan, c’est d’anticiper les ruptures technologiques en particulier dans l’intelligence artificielle et le traitement des données. Des « data hubs » seront embarqués à bord des unités du groupe aéronaval, dont la mission débute en fin d’année 2024. Le temps long, c’est aussi développer nos partenariats avec nos alliés, et renforcer le lien avec la nation, notamment à travers les flottilles de réserve côtière en Atlantique cette année, en Méditerranée et outre-mer bientôt. La Marine doit être résiliente et conserver la supériorité opérationnelle demain.
QUELS SONT ACTUELLEMENT LES GRANDS « POINTS CHAUDS » POUR LA MARINE ? ON PENSE À LA MER ROUGE AVEC LES HOUTHIS, À LA BALTIQUE ET À LA MER NOIRE AVEC LA RUSSIE ?
Les attaques terroristes du Hamas en Israël le 7 octobre ont déclenché une cascade de crises au Proche-Orient, qui se superposent à la guerre en Ukraine. Cela fait 1000 jours que l’Ukraine se défend contre la Russie, c’est un conflit qui dure et qui a des conséquences sur l’activité de la Marine et nos alliés de l’OTAN dans l’espace euroatlantique. La Marine a fortement augmenté sa participation aux opérations de l’OTAN depuis 2022, en prenant par exemple le commandement d’un task group en Méditerranée au premier semestre 2024, ou par une présence accrue en mer Baltique.
Pour la Marine nationale aujourd’hui, nous n’observons pas les conflits. Nous sommes au contact de la menace à travers notre engagement dans l’opération ASPIDES de l’Union européenne, en mer Rouge. La Marine réussit en opérations. Nous faisons face à la menace en protégeant et accompagnant le commerce maritime dans le détroit de Bab El-Mandeb. Le contexte est donc exigeant en termes d’élongation et de préparation pour nos forces. En décembre 2023, une frégate française abattait deux drones aériens houthis. C’était le début d’une séquence ininterrompue de déploiements des frégates. En mars, un hélicoptère Panther détruisait un drone en vol, tandis qu’une frégate détruisait plusieurs missiles balistiques : deux premières en opération. À la fin de l’été, une frégate détruisait un drone de surface menaçant. La Marine répond présente. Il faut rester prêts.
Moins visible est la mission de dissuasion, mission absolument centrale pour la Marine à travers la force océanique stratégique, ou la force aéronavale nucléaire constituée autour du porte-avions Charles de Gaulle.
Et il y a des missions moins connues mais aussi lourdes d’impact, par exemple dans le nord de l’Atlantique où la Marine fait face, avec ses alliés, à une présence accrue des forces sous-marines russes de la flotte du Nord. Sous-marins, hélicoptères, frégates, avions de patrouille maritime : la mission de lutte anti-sous-marine est exigeante, et c’est un domaine dans lequel notre Marine a développé une grande expertise qui est reconnue par ses partenaires.
Enfin il y a tous les autres « points chauds », dans les Antilles, en Guyane, en Manche et en mer du Nord où la Marine conduit des actions permanentes de protection, d’intervention dans la lutte contre le narcotrafic, la police des pêches ou de sauvegarde de la vie humaine, aux côtés des autres administrations. Plus de 43 tonnes de drogue saisies en 2024 ; plusieurs milliers de vies humaines sauvées en mer Manche et sur tout le littoral métropolitain et en outre-mer. La Marine est sollicitée partout.
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Source : IHEDN
4/11/2024