Fortuné de Brack : ce que la cavalerie légère peut encore apprendre au soldat du XXIe siècle

Fortuné de Brack : ce que la cavalerie légère peut encore apprendre au soldat du XXIe siècle

fortune de Brack« La guerre seule apprend la guerre. […] La promptitude, c’est le génie. »
— Fortuné de Brack, Avant-postes de cavalerie légère, 1831

Une voix d’expérience dans un monde incertain

Alors que les conflits de haute intensité ne sont plus une hypothèse mais une réalité, que la dissuasion s’accompagne désormais de confrontations hybrides, de manœuvres informationnelles et d’opérations de coercition non déclarées, il importe de rappeler une évidence : les armées ne se préparent pas seulement avec des budgets et des programmes, mais avec des principes, des repères, des chefs.

Fortuné de Brack, cavalier de l’Empire et vétéran des campagnes napoléoniennes, offre à ce titre une leçon d’une rare actualité. Publié en 1831, son Avant-postes de cavalerie légère n’est ni un mémorial nostalgique, ni un manuel obsolète. C’est un traité exigeant, destiné à ceux qui veulent comprendre ce que signifie vraiment : servir, commander, transmettre.

Commander, c’est connaître le terrain, la troupe, le métier

Brack ne théorise pas : il instruit. Il ne cherche pas à briller : il veut transmettre. Il ne disserte pas sur la stratégie : il enseigne l’usage du bivouac, le poids d’un manteau, l’importance de savoir panser un cheval ou marcher en tête d’un peloton. C’est la guerre vue d’en bas, mais pensée avec une hauteur de vue constante.

« Il faut naître cavalier léger. »

Le message est clair : on ne devient pas chef par décret, mais par l’exemple, l’expérience et l’engagement. Et surtout, on ne peut commander que ce que l’on sait faire. Cette exigence rejoint directement l’esprit des armées françaises : compétence, rusticité, autonomie.

Une éthique du commandement : entre Curély et Napoléon

Pour Brack, le chef est d’abord un homme de proximité, non d’apparat. Il dort moins que ses hommes, veille à la répartition des vivres, sait inspecter un cheval comme interpréter un renseignement. Le général Curély, qu’il cite abondamment, incarne cette autorité fondée sur la connaissance, la justice et l’exemplarité.

Aujourd’hui encore, à l’heure des opérations, des missions Sentinelle ou des déploiements dans la profondeur, ce modèle reste pertinent. Dans un contexte où l’ennemi se dissimule, se transforme ou frappe sans signe avant-coureur, le commandement ne peut s’exercer que dans la cohérence et la crédibilité.

Mobilité, sobriété, initiative : le triptyque de la survie

Brack raille les schakos ridicules et les effets inutiles. Il dénonce la surcharge, le confort de façade, l’oubli du terrain. Ce qu’il exige de ses hommes, c’est la capacité à se déplacer vite, à décider seul, à tenir avec peu. En somme, il décrit ce que l’on attend d’un combattant projeté en autonomie, sans appui direct, sur un théâtre incertain.

Ses principes rejoignent ceux des forces spéciales, des unités de reconnaissance ou des groupes d’intervention : savoir s’adapter, agir dans l’ambiguïté, se préparer à l’imprévu.

Un livre pour aujourd’hui

À l’heure des drones tactiques, de la guerre cognitive et des architectures interarmées, on pourrait croire que Brack appartient à un autre âge. Ce serait une erreur. Il parle encore aux soldats d’aujourd’hui, parce que les fondamentaux ne changent pas : la capacité à durer, à décider sous pression, à entraîner sa troupe, à veiller aux détails, à penser le combat dans sa matérialité.

« Le régiment, c’est lui. » rappelle-t-il à l’officier qui commande.

Ce livre, lu avec rigueur, n’est pas une curiosité : c’est un outil. Il est un rappel de ce que signifie « être militaire » dans la continuité d’une tradition française fondée sur le sens de l’engagement, la vérité du terrain et l’exigence du service.

Conclusion : réapprendre à former des chefs

Dans une époque qui valorise la technologie mais oublie parfois le facteur humain, Avant-postes de cavalerie légère est un appel à ne pas dissocier la compétence technique de la force morale. Ce n’est pas un simple « manuel de guerre » : c’est un miroir tendu aux officiers, aux sous-officiers, à tous ceux qui doivent, un jour, prendre une décision qui engage la vie des autres.

En cela, Fortuné de Brack parle encore à l’armée française. Et son témoignage mérite, à ce titre, une place dans la bibliothèque de tout formateur, tout instructeur et tout chef en devenir.

Source :
Fortuné de Brack, Avant-postes de cavalerie légère : souvenirs, Paris, Anselin, 1831.
Disponible sur Gallica.bnf.fr / BnF

Notice biographique

Né en 1789, Fortuné de Brack entre dans la cavalerie impériale dès l’adolescence. Il sert sous Lasalle, Pajol et Curély, participe aux campagnes d’Allemagne, d’Espagne et de Russie, avant de reprendre du service lors de la monarchie de Juillet. À la tête du 8e régiment de chasseurs à cheval, il rédige alors ses Souvenirs, synthèse d’un savoir empirique mûri par le feu, destiné aux jeunes officiers. Ce livre est un manuel de guerre — au sens strict du terme.

Pascal TRAN HUU
administrateur ASAF
03/04/2025