Deux discours, et… ?
À la Conférence de Munich sur la sécurité (2025), deux discours ont cristallisé les tensions et les divergences au sein du bloc occidental. D’un côté, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a plaidé pour un renforcement de l’Europe dans un monde où les menaces extérieures se multiplient. De l’autre, J.D. Vance, vice-président des États-Unis, a brossé un tableau sans concession de l’état de la démocratie européenne, fustigeant une élite dirigeante qu’il juge en décalage avec les principes fondateurs de l’Occident. Si ces deux interventions partagent un constat d’instabilité, elles révèlent deux approches radicalement différentes quant à la place et au rôle de l’Europe dans le nouvel ordre mondial.
L’un des contrastes les plus saisissants entre les discours de von der Leyen et Vance réside dans leur conception du danger. Pour Ursula von der Leyen, la menace est avant tout externe. L’Europe doit faire face à une Russie expansionniste, à la montée en puissance de la Chine, et à un environnement où la souveraineté européenne est de plus en plus contestée. L’Union européenne n’a d’autre choix que de renforcer sa posture militaire, énergétique et économique pour assurer sa survie. « We have to be smart, we have to be clear-eyed about what is ahead of us—from a rogue Russia on our borders to challenges to our sovereignty and our security. »
(« Nous devons être intelligents et lucides sur ce qui nous attend : une Russie voyou à nos frontières et des défis à notre souveraineté et à notre sécurité. »)
J.D. Vance, lui, identifie un tout autre péril : celui d’une déchéance démocratique venue de l’intérieur. Selon lui, les élites européennes ont trahi les valeurs fondamentales de la démocratie en réprimant les voix dissidentes et en imposant un carcan idéologique qui bride la liberté d’expression et l’autodétermination des peuples. Ce n’est pas tant Moscou ou Pékin qui menace l’Europe, mais Bruxelles elle-même. « One of the things that I wanted to talk about today is, of course, our shared values. »
(« L’une des choses dont je voulais parler aujourd’hui concerne, bien sûr, nos valeurs communes. »)
Si les deux dirigeants s’accordent sur la nécessité pour l’Europe d’évoluer, ils en tirent des conclusions opposées quant au rôle des États-Unis.
Mme. Von der Leyen prône un renforcement du lien transatlantique, tout en affirmant la nécessité pour l’Europe de prendre en main sa propre défense. Elle appelle à un réarmement massif, tout en cherchant une coopération équilibrée avec Washington. « Europe has to do more. Europe must bring more to the table. And to achieve this, we need a surge in European defense spending. » (« L’Europe doit en faire plus. L’Europe doit apporter davantage. Et pour y parvenir, nous avons besoin d’un sursaut dans les dépenses de défense européennes. »)
Quant à M.Vance, lui exprime une lassitude vis-à-vis du rôle traditionnel des États-Unis en Europe. Il remet en question l’engagement américain dans la défense européenne, estimant que les Européens doivent assumer eux-mêmes le poids de leurs ambitions et de leurs conflits. Derrière cette position transparaît une volonté de réorienter la politique étrangère américaine vers ses propres priorités et de rompre avec une vision paternaliste de l’alliance atlantique. « We need a Europe that is more pragmatic, more focused, more determined. » (« Nous avons besoin d’une Europe plus pragmatique, plus concentrée, plus déterminée. »)
Un autre point de rupture fondamental concerne la conception des libertés.
Mme. Von der Leyen évoque la nécessité d’une Europe unie dans la défense des valeurs démocratiques, mais dans une optique de résistance aux régimes autoritaires extérieurs. Pour elle, le combat démocratique se joue contre les tentations autocratiques russes et chinoises, et non au sein même du bloc occidental. « We need a Europe that is more pragmatic, more focused, more determined. » (« Nous avons besoin d’une Europe plus pragmatique, plus concentrée, plus déterminée. »)
Quant à M.Vance, il renverse totalement cette perspective. Pour lui, les élites européennes sont elles-mêmes devenues autoritaires, imposant un contrôle idéologique qui étrangle la liberté d’expression et réduit au silence les voix dissidentes. Il fustige une Europe obsédée par l’uniformisation du débat public et rétive à toute remise en question. « One of the things that I wanted to talk about today is, of course, our shared values. » (« L’une des choses dont je voulais parler aujourd’hui concerne, bien sûr, nos valeurs communes. »)
Le contraste entre ces deux discours illustre une fracture de plus en plus nette au sein du monde occidental. Von der Leyen incarne la volonté d’une Europe forte, mais toujours ancrée dans un partenariat transatlantique, avec l’ambition d’un renforcement militaire et économique face aux menaces extérieures quand M.Vance exprime un désengagement progressif des États-Unis et une critique acerbe des institutions européennes, considérant que la menace principale pour la démocratie ne vient plus de l’extérieur, mais de l’intérieur même des sociétés occidentales.
Ce clivage, loin d’être anecdotique, annonce un changement majeur dans la dynamique des relations entre l’Europe et les États-Unis. L’Europe pourra-t-elle se défendre seule ? Les Américains se détacheront-ils définitivement des affaires européennes ? Le débat reste ouvert, et l’issue incertaine.
Un Chinois célèbre, Confucius, a dit : « Lorsque le vent du changement souffle, certains construisent des murs, d’autres des moulins à vent. »
Mme. Von der Leyen, qui n’est pas élue, et M. Vance regardent tous deux le même monde en mutation, mais en tirent des enseignements radicalement opposés. L’une voit dans le renforcement européen un rempart contre les menaces extérieures, l’autre perçoit dans l’évolution des sociétés occidentales une menace plus insidieuse encore.
La question demeure : L’Europe choisira-t-elle de bâtir un mur ou de tendre ses voiles au vent de l’histoire ? En tous cas le reste du Monde nous observe…
Pascal TRAN-HUU
administrateur ASAF
18/02/2025