En février 2023, l’affaire du ballon espion chinois qui avait été abattu au large de la Caroline du Sud par un F-22A Raptor de l’US Air Force après avoir traversé les États-Unis en passant à proximité d’installations militaires sensibles avait défrayé la chronique et souligné les enjeux de la Très Haute Altitude [THA], alors décrite comme un espace de conflictualité en devenir. Et cela d’autant plus que le cadre juridique censé la régir n’est pas très clair, faute de consensus sur la limite haute de l’espace aérien et de la limite basse de l’espace extra-atmosphérique.
Selon les autorités américaines, le ballon espion chinois mesurait près de 60 mètres de diamètre, transportait des capteurs logés dans une charge utile de 900 kg et pouvait être manœuvrable à distance. « Nous savions qu’il avait des capacités de collecte de renseignements mais nous estimons qu’il n’en a pas recueilli pendant qu’il survolait les États-Unis », avait aussi précisé le général Pat Ryder, le porte-parole du Pentagone, en juin 2023.
Par la suite, le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord [NORAD] a recalibré ses radars afin de ne plus se faire surprendre. C’est ainsi que, en mars dernier, il a été en mesure d’intercepter un aérostat volant à une altitude de 43’000 à 45’000 pieds au dessus de l’Utah. Mais, n’étant apparemment pas manœuvrable et, par conséquent, ne présentant « pas de menace pour la sécurité nationale », aucune action n’a été menée contre lui.
Pour autant, les ballons espions chinois ont continué à faire parler d’eux… mais sous d’autres latitudes. Ainsi, depuis la fin 2023, Taïwan dit en repérer régulièrement dans ses environs. Certains ont même survolé son territoire.
Ayant des rapports compliqués avec la Chine, notamment à cause d’un différend territorial au sujet de l’État d’Arunachal Pradesh, l’Inde doit-elle aussi s’attendre à la « visite » de ballons espions chinois ? C’est peut-être déjà arrivé, une « sphère blanche », d’origine inconnue, ayant été observée dans le ciel des îles Andaman-et-Nicobar [situées à environ 1380 km au sud-est de l’État d’Andhra Pradesh], en janvier 2022. Seulement, les autorités indiennes se gardèrent de faire le moindre commentaire.
« Je pense que le gouvernement [indien] reste silencieux à ce sujet pour la simple raison qu’il n’a pas pu faire quoi que ce soit à ce sujet », avait estimé Sushant Singh, chercheur au groupe de réflexion « Center for Policy Research », domicilié à New Delhi. Et d’ajouter : « Si l’on disait qu’un ballon espion a été repéré au-dessus des îles Andaman-et-Nicobar, considérées comme un important bastion de la souveraineté indienne, cela montrerait le gouvernement sous un très mauvais jour. »
D’où la démonstration que vient d’effectuer la force aérienne indienne [IAF – Indian Air Force], qui a mobilisé l’un de ses trente-six Rafale pour l’occasion.
Ainsi, rapporte l’agence de presse indienne ANI, l’IAF « a prouvé sa capacité à détruire des cibles représentatives de ballons espions chinois à une altitude très élevée de 55’000 pieds [soit 16,7 km] ». Ce qui a été confirmé par une source du quotidien Times of India.
« L’IAF a élaboré des TTP [procédures, techniques et tactiques] pour faire face à de telles éventualités. Elle a éprouvé sa capacité à intervenir dans différentes enveloppes de vol. La démonstration du Rafale s’est déroulée à une plus de 55’000 pieds, bien au-dessus de ce qui avait été pratiqué auparavant. Le ballon cible, avec sa charge utile, était plus petit que celui qui a violé l’espace aérien américain », a en effet confié cette source au journal.
Pour cette démonstration, le Rafale était armé de missiles air-air Meteor [d’une portée supérieure à 200 km] et MICA [d’une portée d’environ 80 km].
Aucune détail supplémentaire n’a été donné sur le mode opératoire qui a été suivi pour abattre ce ballon à plus de 16’000 mètres d’altitude… ce qui correspond au plafond opérationnel du Rafale.
Cela étant, la démonstration indienne n’est pas surprenante. L’an passé, le général [2S] Stéphane Mille, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE], avait assuré que la France possédait les capacités nécessaires pour abattre les ballon espions.
« Nous sommes d’ores et déjà capables de réaliser des missions et, en particulier, la France a les moyens d’intervenir tout comme les Américains l’ont fait à l’égard du ballon chinois. Nous n’avons donc pas besoin d’aller très au-delà de nos capacités actuelles », avait-il expliqué lors d’une audition au Sénat, sans entrer dans les détails.
« Il faut maintenant construire une continuité qui va du sol jusqu’à l’orbite géostationnaire. Jusqu’à présent, on se contentait de contrôler, surveiller et gérer l’espace aérien jusqu’à 50’000 pieds ou même 20 kilomètres d’altitude : au-dessus, il était tellement compliqué de faire voler un appareil qu’on avait décidé de ne pas y intervenir. En revanche on commence aujourd’hui à savoir utiliser cette tranche d’altitude et il faut maintenant s’y intéresser de très près : on a parlé des ballons mais d’autres objets sont également concernés », avait conclu le général Mille.
LAURENT LAGNEAU
Source : Opex360
07/10/2024