Coup de tonnerre dans les chancelleries. Les deux empires principaux enterrent une rivalité de dizaines d’années pour garder les mains libres face à la montée en puissance de rivaux menaçants.

Quelques années plus tôt, la fin de la longue guerre avait amputé l’un des signataires de territoires à la perte desquels il ne s’est jamais résigné. Des conflits périphériques n’ont pourtant pas tardé à se rallumer. Ils encombrent les deux puissances signataires. Leur arrangement inédit et brutal libère, croient-ils, leurs visées stratégiques.

Il va pourtant déboucher très vite sur une nouvelle guerre en Europe, sur les autres continents, en mer et être considérée comme une guerre mondiale.

Cher adhérent, détrompe-toi ! Toute ressemblance est fortuite. Nous sommes le 1er mai 1756 :

il s’agit du « renversement des alliances » voulu par Louis XV et Marie-Thérèse, au nom de la « real Politik ».

« L’histoire ne se répète pas mais elle bégaie » disait le vieux Karl Marx.

Aujourd’hui l’administration Trump a renversé la table. Elle renie la parole des Etats-Unis, médiatise une honteuse pression, de fait abandonne en rase campagne son allié. Pire, elle accorde au pouvoir moscovite une victoire diplomatique que ses armées poussives ont été incapables de remporter sur le terrain, malgré leur brutalité et leurs crimes. L’histoire mettra-t-elle les entrevues de Munich et de Riyad, avec les discussions suivantes de marchands de tapis, sur le même plan ?

Il reste que cette présidence accélère les mutations libertaires et populistes de l’Amérique, ressuscite son jeu de république impériale, abandonne l’Europe aux Européens et ne pense plus que bénéfices commerciaux à court terme, dossier chinois et fermeture des frontières.

A Munich, le projet politique du vice-président Vance a été clair et brutal. Quelques jours après, sa concrétisation face au président ukrainien a été honteusement violente.

Le moment de vérité est donc arrivé pour la France et pour l’Europe.

Nous avions vécu, sans jamais rien apprendre, la pseudo-négociation minable de 2008 sur le sort de la Géorgie, le mutisme occidental en Crimée, les pourparlers naïfs et vains du couple Hollande-Merkel pour un « cessez-le-feu » au Donbass puis trois années de procrastination dans le soutien à l’agressé.

Ce fut aussi, sous la présidence Biden, l’assoupissement béat de l’UE : ce moment où les Européens, trop heureux de laisser leur leadership aux Etats-Unis, ne voulurent pas affirmer leur primauté sur la sécurité européenne. Et voici aujourd’hui le lâchage du parrain,  certes lassé de payer les 2/3 de la facture, néanmoins traître !

Seuls les naïfs ou les aveugles devraient être surpris. En France, au moins, nous avions prévenu.

La réalité est pourtant là, cruelle : l’Europe est seule, nue, déboussolée.

Les dirigeants européens l’ont enfin compris : l’heure du réveil a sonné pour pouvoir compter encore sur un échiquier mondial en recomposition. Il faut claironner la fin de la sieste et forcer le destin.

Quoi faire? Certes il faudra 15 ans pour bâtir une défense et une diplomatie cohérentes et fortes.

Mais dans l’immédiat, mettre en sourdine les disputes stériles pour ou contre l’allié américain ou pour ou contre l’ami historique russe. Français et Européens, nous avons à préserver nos libertés, doubler nos capacités industrielles de défense, investir dans la défense européenne (avec un « buy european defense act » robuste), inclure l’Ukraine dans la ligne avancée de la sécurité de l’Europe (pas nécessairement celle de l’OTAN), et organiser autrement l’OTAN, sans oublier pour autant la Méditerranée. Si possible avec l’aval américain sinon sans; avec la participation des réticents russophiles sinon sans (relire les articles 42-6, 42-7 et 46 du traité de Lisbonne).

Ne plus tarder surtout à remplacer les 70 milliards d’aide réelle américaine par des fonds européens, pris si nécessaire dans les avoirs russes gelés, au titre des dommages de guerre. Fournir, autant que faire se peut, avions, canons, munitions supplémentaires aux Ukrainiens. Accélérer et simplifier les règles de transfert en débarrassant l’IDCC (International Donors’ cooperation center) de Stuttgart du contrôle tatillon américain. En somme, donner à l’allié ukrainien les moyens de continuer à défendre pied à pied son territoire ou en cas de cessez-le-feu de fortifier la ligne des contacts, lui prouver qu’il n’est pas seul dans son admirable combat. Pour nous Français rappeler qu’autrefois nous n’avions jamais oublié l’Alsace-Lorraine.

Chimère que cela ? Pourtant  « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Demain, l’administration Trump aura obtenu son accord mettant provisoirement fin à la guerre.  Impossible d’en deviner les termes et conditions encore moins la durée, tout à fait incertaine. Le degré d’implication américain dans l’arrangement sera très faible. Avec la guerre commerciale ouverte, après l’embuscade de Washington, il est source d’inquiétudes et de divisions en Europe.

C’est donc une coalition ad-hoc d’Européens volontaires qui sera mise sur pied en urgence. Sous direction française et britannique, seuls pays disposant d’une dissuasion nucléaire et de forces projetables, opérationnelles, ayant l’expérience du feu, en bref « bonnes de guerre ». Ce nouveau leadership binational devra structurer la mise en œuvre des garanties de sécurité. Pouvons-nous imaginer une force européenne d’action rapide déployée en arrière du rideau défensif ukrainien en contrôle de la ligne des contacts ? Soit une force interarmées de 3 à 4 brigades, des forces spéciales, une force aérienne.

Jaguars de la 9ème BIMa en Estonie crédit photo Ministère des Armées

Elles donneraient à l’Ukraine le répit nécessaire pour souffler, réorganiser son armée, commencer la reconstruction, rapatrier ses réfugiés et relancer son économie. Une présence de nature à limiter les provocations et dissuader tout acte majeur.

N’oublions pas que 2025 est l’année du « signalement stratégique » français dans le cadre de l’exercice Dacian Spring 2025 : la projection  de la 7ème brigade blindée au complet jusque vers Brasov en Roumanie, nœud de communication situé à 400 km seulement d’Odessa.

Facteur tout aussi déterminant, il reviendra aux Européens d’investir massivement dans la reconstruction du pays et la modernisation de son outil industriel. Et de soutenir la culture et les artistes ukrainiens dont l’art est depuis un siècle l’âme de ce peuple et son affirmation souveraine.

L’entre-deux guerres qui s’annonce est l’occasion inespérée, tant attendue, de parvenir enfin à réformer et européaniser l’OTAN. Plaidons non pas pour le maintien de l’engagement américain dans la sécurité de l’Europe, plutôt pour un seul pilier européen à dominante financière et politique européenne avec un arc-boutant américain provisoire dans certains domaines critiques comme le transport stratégique et le renseignement. Cela suppose l’augmentation des dépenses militaires de nos pays, peut-être de l’ordre du quart ou du tiers des 260 milliards déjà investis annuellement par tous les états de l’UE, mais surtout leur mise en commun, donc un partage de souveraineté auquel nous devons nous préparer.

Tout « deal » appelle contrepartie : une fenêtre asiatique d’un OTAN européen ? Qui pourrait à son tour « marchander » le soutien des maigres forces prépositionnées en Asie-Pacifique, déployer une force navale européenne périodique ou mettre à disposition les porte-avions terrestres constitués par les bases et territoires français dans la zone.

Cher adhérent et ami de l’ASAF, nous sommes tous responsables et engagés. À nous de poursuivre notre long combat du réarmement et soutenir la refonte du pacte de sécurité de l’Europe face à l’Est et  au Sud ! Autrement dit, faire adhérer nos concitoyens à la mobilisation de nos ressources et des énergies pour construire le nouveau pilier de défense; les convaincre de leur intérêt à consentir des investissements de défense très considérables; vulgariser enfin l’idée d’un vaste emprunt européen proposé tant aux investisseurs institutionnels qu’aux épargnants particuliers.

Il s’agit aussi de promouvoir un concept de défense civile : pas un autre plan de préparation aux crises du temps de paix mais la construction d’une société robuste, capable de résister par la redondance à la destruction d’infrastructures critiques, s’étant dotée d’un service civil volontaire et ayant acquis les gestes élémentaires de résilience jusqu’à l’échelon familial. Voyons l’exemple de la Suède

Aujourd’hui nombre de Français et d’Européens, tirés de sieste, sont désemparés. Nous bouillons parfois de colère pour n’avoir pas été entendus.

Mais nous pouvons porter l’espoir que de cette crise existentielle sortira une renaissance.

GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF.