OPÉRATION Sentinelle: «Des évolutions subtiles sans refonte en profondeur»

Posté le samedi 16 septembre 2017
OPÉRATION Sentinelle:  «Des évolutions subtiles sans refonte en profondeur»

Le gouvernement a annoncé, jeudi soir, que l’opération Sentinelle allait évoluer dans les prochaines semaines. Mis en place après les attentats de 2015, elle mobilise 7 000 hommes sur l’ensemble du territoire. Néanmoins, son efficacité et son utilité ont plusieurs fois été remises en cause par des spécialistes des questions de défense. Alors qu’un soldat a encore été attaqué ce vendredi à Paris, 20 Minutes a demandé son avis à Bénédicte Chéron enseignante à l’Institut Catholique de Paris, chercheure partenaire au Sirice

Que pensez-vous de l’évolution du dispositif Sentinelle présentée par les ministres de la Défense et de l’Intérieur ?

Ces annonces permettent aux politiques de montrer qu’ils ont bien conscience de la surmobilisation des soldats tout en affirmant aux Français que le niveau de l’opération ne baisse pas. Officiellement, on maintient le même effectif, ce qu’on modifie c’est la manière dont on les utilise. Au-delà du « socle » déployé en permanence, le nombre de militaires mobilisés pour des événements ponctuels pourra varier.

C’est une évolution subtile mais réelle même si ça n’a rien de la refonte en profondeur qui était annoncée. Cela peut permettre à l’état-major d’avoir un peu plus de marges de manœuvre et de relâcher la pression sur ceux qui accumulent les missions sans guère de repos. Les effets réels de ces évolutions devront être évalués en fonction de leur mise en œuvre effective.

Cette opération a-t-elle montré son efficacité ?

On a expliqué aux Français que cette opération était l’une des réponses les plus efficaces à la menace terroriste. Or il y a un vrai doute sur cette efficacité. Elle n’a en tout cas pas dissuadé certains de fomenter des attentats et le principe de ceux qui les mettent en œuvre étant de contourner le dispositif, les militaires n’ont jamais vraiment pu réagir en cas d’attaque majeure visant des civils. Reste la fonction de paratonnerre qui finit par être presque clairement assumée : instinctivement, on peut en effet se dire qu’il vaut mieux que les attaques visent des militaires capables de se défendre que des civils qui n’en sont pas capables.

Se pose alors deux questions : est-on certain que ceux qui attaquent des militaires avaient comme première intention de s’en prendre à des civils ? Si ce n’est pas le cas, on peut affirmer que l’opération Sentinelle suscite des attaques et n’est donc pas dissuasive. Enfin, quand bien même cette fonction de paratonnerre pourrait avoir temporairement du sens, peut-elle constituer un objectif en tant que tel ? C’est plus que discutable.

Dans quel état d’esprit sont aujourd’hui les militaires ?

Il n’y a aucune donnée statistique utilisable en l’état sur le moral des militaires en 2017 et le lien qu’il peut y avoir avec l’opération Sentinelle. Beaucoup de témoignages en revanche expriment une lassitude au vu du rythme de sollicitation qui est celui des armées depuis le déploiement de Sentinelle. Des interrogations filtrent aussi sur le sens de cette mission, sur le décalage qui peut exister entre les exigences d’un entraînement très pointu et la faible utilisation des savoir-faire proprement militaires lors des patrouilles. Depuis janvier 2015 par ailleurs, certains militaires se sont demandé si Sentinelle n’était pas une opération sans fin tant elle joue un rôle d’affichage politique.

Tout ceci étant dit, il faut bien se rendre compte que la question du malaise des armées ne date pas de Sentinelle. Les facteurs sont nombreux, complexes et anciens (difficultés budgétaires et difficultés de compréhension du sens de l’engagement militaire au sein de la société sont les deux principaux). L’opération Sentinelle, parce qu’elle est massive et se déroule sous les yeux des Français pour répondre à une menace qui leur est très concrète, joue un rôle de catalyseur. Elle rend ce malaise plus visible et palpable, mais elle n’en est pas la cause première.

Pourra-t-on un jour sortir de cette opération ?

Le politique s’est piégé avec cette opération en la pérennisant de manière massive et rigide. Il y avait une légitimité à la déclencher dans l’urgence en 2015 parce qu’on était dans le brouillard quant à l’état de la menace et que la population était sous le choc des attentats. Déployer massivement des militaires sur le territoire national pouvait avoir du sens, cela montrait que l’Etat était capable de réagir face à la menace. L’opération a joué un rôle symbolique d’affichage de la puissance régalienne. C’est sa pérennisation dans un format très massif qui a suscité interrogations et débats.

Il faut rappeler qu’avant Sentinelle, un petit millier de militaires participaient à Vigipirate sans que leur utilité soit davantage prouvée. Il paraît peu réaliste politiquement après plus de deux ans et demi de ce nouveau déploiement massif de revenir à ce niveau bas de mobilisation. Il demeure cependant préoccupant que certains responsables politiques rechignent à tirer un bilan sincère de ce déploiement. Cela aurait pourtant pu être le moment, en début de mandat.

 

Bénédicte CHERON
Propos recueillis par Thibaut Chevillard (20 Minutes)

Source : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr