LIBRE OPINION du général Henry-Jean Fournier: SYNDICAT MILITAIRE

Posté le dimanche 21 décembre 2014
LIBRE OPINION du général Henry-Jean Fournier: SYNDICAT MILITAIRE

Un arrêt du 2 octobre 2014 de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclut que la France violait l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme en interdisant les syndicats dans l’armée.

Sans se prononcer sur les aspects juridiques de cette question qui, s’agissant de son armée, relève avant tout de la souveraineté de l’Etat, le général HJ. FOURNIER appelle l’attention sur les conséquences de l’évolution récente de notre société et de la professionnalisation des armées.

 

Syndicat ! D’emblée, le mot hérisse tout militaire.

Car, en France, le terme est essentiellement synonyme de défense d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général, quand celui-ci est au coeur même de l’engagement du soldat, au prix de sa vie si nécessaire.

Parce qu’il se traduit aussi trop souvent par une capacité de paralysie d’un système, incompatible avec l’idée d’accomplissement de la mission, coûte que coûte.

Parce qu’il contient en germe la possibilité d’insubordination, violemment antinomique de l’exercice du métier militaire, fondée sur l’obéissance.

Parce que tout chef militaire digne de ce nom, soucieux d’exercer la plénitude de sa fonction, s’estime responsable des intérêts de ses subordonnés.

Mais le chef militaire en est alors aussi le seul juge et subordonne fréquemment ces intérêts à la réussite de la mission reçue. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement, dès lors qu’au paroxysme de celle-ci, il sera contraint de prendre le risque de faire tuer ces mêmes hommes pour obéir aux ordres reçus. Tout le talent du chef résidant d’ailleurs dans sa capacité de convaincre ses subordonnés de consentir ce sacrifice sans avoir à l’imposer par la force ou la discipline.

Le risque est cependant de généraliser cette attitude, normale et indispensable dans l’exécution du service, à toutes les situations de la vie courante.

Certes, dans la vie courante, les principes de participation et de concertation ont émergées dans les rangs des armées, depuis de nombreuses années, notamment en raison de la présence des appelés du contingent, dont le commandement exigeait de se mettre au diapason des règles existantes dans la société civile à laquelle ils appartenaient.

Cette évolution s’est traduite par la mise en place d’instances de concertation qui, d’une façon générale, remplissent leur rôle, mais d’une façon générale seulement.

Car les cas particuliers sont plus rarement pris en compte.

Au nom de la priorité donnée à l’action collective, les cas sortant de la « norme » sont soit ignorés, soit occultés par le système hiérarchique.

La hiérarchie maîtrise en effet la chaîne des recours, même s’il existe des circuits directs, mais qui n’aboutissent….qu’au sommet de la chaîne, lui-même conforté par l’ensemble des réglementations dont il n’est d’ailleurs pas toujours maître, notamment sur le plan financier. On vient de le vivre avec le dossier Louvois, qui concerne quand même beaucoup de monde et constitue une forme de paroxysme de cas particuliers, que l’on a d’ailleurs initialement cherché à nier.

Car il est assez fréquent que des situations particulières soient tout simplement volontairement ignorées. Notamment lorsque leur prise en compte risquerait d’entraîner des conséquences financières.

C’est particulièrement le cas de ceux qui, ayant quitté l’institution militaire, ne peuvent plus s’appuyer sur les structures de celle-ci pour faire valoir leurs éventuels droits. Surtout quand les conséquences n’apparaissent que longtemps après leur départ de l’armée. C’est par exemple le cas des « irradiés » des premiers essais nucléaires.

C’est parfois le cas, plus simplement, de séquelles d’accidents survenus en service, mais qui n’ont pas été identifiés sur le moment, parce que considérés comme négligeables au regard d’accidents plus sérieux.

Lorsqu’il s’agissait d’appelés du contingent, ces séquelles étaient rarement prises en compte car les intéressés, dont la présence était éphémère, étaient bien souvent dans l’incapacité ultérieure de prouver le lien au service.

C’est aussi le cas de la différence de traitement des pensions des sous-officiers d’active de l’armée de terre avec celles de leurs homologues de la marine nationale, plus élevées, situation que peu de chefs en fonction connaissent.

Il ne faut donc pas s’étonner que certains se tournent alors vers des structures qui se sont données pour vocation la défense de leurs intérêts, souvent d’ailleurs à la suite de ressentiments personnels de leurs dirigeants.

Dans un autre domaine, celui des conditions de travail, la situation est de même nature.

Le chef est réputé défendre les intérêts de ses hommes.

Sauf lorsqu’il n’en a pas les moyens, cas qui devient quasiment la règle depuis la création des bases de défense, qui ont porté atteinte à l’unicité et à la plénitude du commandement.

Sauf lorsque le chef n’est pas écouté : la mauvaise qualité des chaussures de nos soldats engagés au Mali n’était pas une découverte pour les cadres de la troupe, qui portent les mêmes.

Sauf lorsque la priorité des crédits est orientée vers d’autres dépenses, jugées plus indispensables pour l’accomplissement de la mission et appréciées comme telles par les intéressés eux-mêmes. N’a-t-on pas convaincu les militaires qu’en se serrant la ceinture, ils pourraient être mieux équipés !

Dès lors, comment le chef peut-il faire comprendre à quel moment on franchit le seuil de l’acceptabilité ? Les pertes au combat ou à l’entraînement vont-elles devenir un indicateur de gestion ?

La tentation pourrait donc devenir grande, comme l’ont montré les femmes de gendarmes, il y a quelques années, de manifester les inquiétudes ressenties de manière plus spectaculaire. Arrivera-t-on un jour à la vision d’un régiment assis sur les Champs-Elysées, à l’heure d’y défiler, parce qu’il ne dispose pas des matériels nécessaires à sa mission ?

Tout y pousse, puisque notre société semble donner raison, le plus souvent, à ceux qui crient le plus fort ou manifestent concrètement leur mécontentement.

Dès lors, compte tenu de la récente injonction de la Cour européenne, ne faut-il pas craindre que les organisations syndicales historiques de notre pays ne s’emparent de la défense des droits des militaires ? Et diffusent dans les armées l’état d’esprit qu’elles font régner dans les institutions dont elles s’occupent.

Il semble donc indispensable et peut-être même urgent de réfléchir à la mise en place d’un dispositif qui permette de répondre à l’évolution des mœurs et aux besoins qui seront de plus en plus importants dans une armée professionnelle. Les intérêts de ses membres comme les siens propres l’exigeront à terme.

Et puisque la plénitude du commandement fait de chaque chef le responsable de ses hommes, donnons aussi à chacun de ces chefs, par une formation adéquate, le souci de leurs intérêts matériels, au-delà de la seule exécution de la mission.

Henry-Jean FOURNIER
Officier général (2S)

Source : Henry-Jean FOURNIER, Officier général en 2ème section