LIBRE OPINION du Général (2s) Bernard MESSANA : L’année de la métamorphose.

Posté le samedi 09 janvier 2016
LIBRE OPINION du Général (2s) Bernard MESSANA : L’année de la métamorphose.

La chute de l’empire ottoman s’est estompée dans nos mémoires. On a oublié que libérés du joug turc, les espaces balkaniques et proche-orientaux avaient été alors livrés au désordre et aux déchirements dont les guerres présentes ne sont, au fond, que de lointaines répliques. La « question des Balkans » s’était en effet aussitôt imposée dans l’Europe du 20ème siècle comme le venin récurrent empoisonnant les rapports entre les Etats, allumant même les feux de la Grande Guerre. Provisoirement interdite sous la « pax sovietica », la « question » s’est posée à nouveau, avec virulence, à sa disparition. Et l’on sait déjà que la mutilation de la Serbie qu’elle  a provoquée réveillera tôt ou tard le démon des Balkans.

 

En attendant, c’est bien celui du Proche Orient qui s’est déchaîné. Français et Britanniques l’avaient mis au monde en secret, dès 1916, par les accords Sykes-Picot, découpant au cimeterre les territoires turcs assimilés à un butin, et trahissant au passage la parole donnée aux Arabes. Il est frappant de constater que la part française au festin initial comprenait, d’Est en Ouest, la région de Mossoul, la Syrie, et le Liban ! Très exactement la zone où, aujourd’hui, Daech, l’Etat islamique en Irak et au Levant, exerce son apostolat.

Quant au réveil du démon, il s’explique par sa libération des liens qui l’entravaient et qui avaient à terme remplacé la domination turque : Ordre irakien dictatorial de Sadam Hussein, pulvérisé par les EU et  laissant place,- inconscience ou calcul ?-, à l’affrontement des communautés religieuses, chiites majoritaires du Sud, sunnites minoritaires du Nord ; ordre alaouite syrien pesant, accusé de massacrer son peuple majoritairement sunnite, et s’obstinant à résister à une meute disparate prétendument libératrice. Dans les Balkans, « on » a mutilé la Serbie, au Proche Orient, c’est la Syrie qu’ « on » voudrait décapiter. Mais qui est donc ce « on » ?

 

 

Ceux qui tirent les ficelles

A sa recherche dans ce Proche Orient devenu chaos meurtrier, les analystes peinent à démêler les entrelacs des intérêts et des passions pour tenter de comprendre les stratégies, imaginer les tactiques. Les intérêts sont fluctuants, les passions échappent à la raison. Dès lors ce théâtre du chaos devient une sorte de champ clos où de grandes puissances, soucieuses d’éviter des chocs frontaux aux conséquences parfois périlleuses, se mesurent sournoisement par alliés ou vassaux interposés dont elles exploitent les rivalités, n’hésitant pas toutefois, pour rétablir un équilibre douteux, ou garantir leurs intérêts majeurs, à taper sur la table. On songe bien sûr à l’irruption russe dans le champ clos, en Septembre 2015, sorte d’hymne rageur entonné par V. Poutine : « Vous n’aurez pas Tartous et Lattaquié ! ». A cette netteté des objectifs répond, déroutante, l’obscure clarté de la stratégie « obamienne ».

 

Les Arabes sunnites de la péninsule, eux, clients et acheteurs d’un Occident complice et empressé où nous figurons en bon rang, cherchent surtout à décomposer la Syrie, clé de voûte de cet arc chiite allant de l’Iran, ennemi héréditaire honni, au Hezbollah libanais. Pour cela, l’Arabie Saoudite a aussi nourri des sectes islamo-terroristes, Al Qaïda connue sous diverses appellations, et autres auto-entrepreneurs unis dans leur haine du chiite en général, de l’alaouite en particulier. C’est alors que soudain, dans ce grouillement meurtrier, est apparu un monstre, Daech, digne héritier de la « secte des assassins » du Moyen-âge, et son calife, réincarnation du « Vieux de la montagne ». Et les Arabes alarmés se sont alors souvenus que pour abattre le monstre, au 10ème siècle, ils avaient dû faire appel aux Mongols. Qui seront aujourd’hui les nouveaux « Mongols » capables d’exterminer Daech ? Difficile d’imaginer que la coalition sunnite hétéroclite récemment inventée à grands frais puisse en tenir lieu.  Alors  pourquoi pas ces Kurdes certes divisés, mais ardents combattants ? Et c’est là que s’interpose avec fracas le Turc mégalomane, à la brutalité provocatrice, qui, dans ce chaos où il rêve de restaurer son magistère, a d’abord pour objectif d’éliminer le Kurde qui en est l’obstacle majeur… Difficile donc de désigner le « on », nous le sommes tous un peu…

 

 

Nous sommes attaqués car nous sommes en guerre !
Déconcerté par cet Orient compliqué, l’observateur français, et donc cartésien, se demande alors pourquoi diable notre Pays s’y est impliqué. N’ayant pas la mémoire courte, il se souvient de cette condamnation proférée par notre Président à l’égard de Bachar le Syrien, semblant épouser, avec un empressement complaisant, la malédiction des pays du Golfe. « Delenda est Bachar ! » avons-nous clamé, en écho fidèle au chœur sunnite, mais le grand allié américain, réticent, a aussitôt calmé notre ardeur belliqueuse. Frustré, notre Président, encore auréolé de sa victoire au Mali, et se posant ainsi en champion de la lutte contre le « djihadisme », a choisi de placer la France à l’avant-garde du combat, s’engageant à « tout faire pour casser les filières djihadistes ». C’était bien là une déclaration de guerre sans ambiguïté aux djihadistes de tout poil, en notant toutefois que limitées au seul théâtre irakien, nos actions initiales ne visaient que Daech en Irak, et épargnaient Al Nosra, filiale d’Al Qaïda en Syrie censée, selon notre Ministre des AE, y faire du « bon boulot ».

 

Malgré cette mansuétude, c’est Al Qaïda qui nous a frappés en premier en Janvier 2015, par le canal des disciples de sa filiale AQPA (péninsule arabique), provoquant une subite prise de conscience, « Nous sommes en guerre ! ». Evidemment, s’est étonné l’observateur, ne l’avons-nous pas nous même déclarée ! Et cela, il l’a à nouveau souligné quand, en réponse à l’élargissement de nos actions au théâtre syrien, Daech nous a frappés  à son tour, le 13 Novembre. Dès lors, conclut l’observateur, il vaudrait mieux appeler les choses par leur nom. Les islamo-terroristes nous frappent car nous les avons frappés. Libre aux romantiques de croire que l’on s’en prend à notre « liberté d’expression » en assassinant Charlie-Hebdo, et à notre « civilisation » en mitraillant les terrasses des cafés et le public du Bataclan, mais mieux vaut se pénétrer de la vérité toute simple: les djihadistes n’ont pour objectif que de tuer le plus grand nombre possible de Français, membres d’un Etat qui les combat en Afrique et au Proche Orient, et, cerise sur le gâteau, communauté d’infidèles blasphémateurs et dissolus.

 

 

Notre Défense en échec ?
L’islamo-terrorisme nous a donc frappé à deux reprises, se jouant de nos défenses.

S’il s’agit bien de « guerre », comme nous l’affirment nos dirigeants résolus à devenir « impitoyables », c’est donc de « Défense » qu’il faut parler. La nôtre semble en échec dans les trois volets d’action qui lui sont impartis : dissuader, intervenir, protéger.

 

Dissuader ? On ne dissuade pas par la menace nucléaire une nébuleuse terroriste qui aspire au martyre, et s’immole dans l’action. Certes. Mais quand cette nébuleuse se fixe dans l’espace, se proclame Etat avec une terre, des capitales, un peuple, ne devient-elle pas vulnérable ? Certes encore. Devrions-nous alors menacer de frapper ? Non bien sûr, ce serait démesure et folie, inadapté et contre-productif, totalement hors de notre concept, s’indigneraient nos dirigeants. Ainsi notre concept de dissuasion nous conduit là à ce que les rédacteurs de Livres blancs qui ont inventé les « risques de la faiblesse » pourraient nommer « l’impuissance de la force ». Avoir l’arme et ne pas imaginer d’envisager son usage, ni même la menace de son usage, n’est-ce pas altérer sa crédibilité ? Si l’on n’y pense pas, si l’on n’en parle pas, c’est qu’elle n’est pas, dira l’adversaire réaliste. Cette attitude contraste d’ailleurs grandement avec celle de la Russie qui déjà à propos de la Crimée, et aujourd’hui à propos de Daech, laisse très explicitement planer la menace, s’il le fallait, d’un recours au nucléaire. Pragmatique, sans doute estime-t-elle qu’une frappe savamment dosée pourrait, s’il le fallait, bouleverser les données, et mettre un terme immédiat aux conflits.

 

Intervenir ? C’est la « défense de l’avant », dont l’opération Serval au Mali a été une illustration exemplaire. L’opération Barkhane, parfaitement pensée, lui a succédé dans la bande sahélo-saharienne (BSS), mais, faute d’effectifs suffisants, ses résultats restent très limités. Etrangement, Barkhane donne même à cette BSS allant des sables libyens aux rivages atlantiques mauritaniens une sorte d’unité. Celle dont justement rêvait le colonel Khadafi au temps de sa splendeur… Et puis, au Proche Orient, la France a rejoint la coalition pilotée par les EU en fonction de leurs intérêts propres indiscernables, d’abord en Irak, à la demande du gouvernement légal, puis en Syrie, sans accord du gouvernement légitime, mais en invoquant la « légitime défense ».

Nous vivons donc un quinquennat guerrier vibrionnant, justifiant les propos du Président de la République qui affirmait, dans sa préface au Livre blanc 2013, que les menaces s’étaient « amplifiées », tout en réduisant les moyens d’y faire face. Il faut en effet rajouter à ces interventions l’opération Sangaris en RCA, le Liban, et quelques autres champs…Cet interventionnisme haletant a, bien sûr, un coût, en tous domaines. Epuisant pour les personnels, usant pour les matériels, en un mot, il est ruineux, et conduit nos maigres et courageuses Armées, à court terme, à l’asphyxie. De plus, il est légitime de douter de sa pertinence car, loin de tenir et détruire nos adversaires hors de nos frontières, comme le pensaient nos stratèges, il a réveillé et motivé ceux qui sommeillaient déjà chez nous, suscité de nouvelles vocations, et rappelé au Pays ceux de nos ressortissants partis « au bled » en stage de formation à l’assassinat. « Protéger » est alors devenue l’urgence absolue.

 

Protéger ? La « Défense » a volé au secours d’une « Sécurité » défaillante. Notre observateur, cette fois inquiet, a noté que la somme impressionnante des renseignements dont nous disposions sur nos agresseurs, quasiment tous Français-, n’avait pourtant provoqué aucune exploitation préventive. Comme si quelque chose l’interdisant,- l’Etat de Droit ?-, il fallait attendre l’inévitable passage à l’acte, le flagrant délit. Rien n’illustre mieux cette posture paralysante que l’attitude du Ministre de l’Intérieur face aux propos délirants de l’imam exalté de Brest, qu’il se borne à juger « pas pénalement répréhensibles ». Peut-on encore prétendre « protéger » quand le ver est déjà dans le fruit, quand, de l’intérieur, il ronge les organismes ? Et si la présence de militaires en nombre dans nos rues peut rassurer certains citoyens, elle ne correspond pas aux capacités de nos soldats, utilisés en fait comme des supplétifs.

L’état d’urgence lui-même, proclamé avec fracas, n’a pas véritablement entraîné la reconquête des zones de non-droit, la fermeture de tous les lieux de propagande islamistes, l’expulsion ou la mise hors d’état de nuire des imams illuminés. Quant au débat sur la déchéance de la nationalité,- mesure à effet dissuasif nul -, n’existerait-il que pour magnifier la fermeté présidentielle, dompter la gauche, et diviser une droite prise à contre-pied ?

 

 

2016, année de la métamorphose ?

Déconcerté, et puis inquiet, voilà soudain notre observateur incrédule ! Le constat qu’il fait, en toute objectivité, est celui d’un échec. Et cet échec, loin de nuire à celui qui en est, constitutionnellement, le premier responsable, notre Président, renforce sa popularité ! En fait, le malheur qui nous frappe permet au premier des Français d’incarner, à juste titre, et avec d’indéniables accents de vérité, le chef serein qui ne plie pas, le chef humain qui console, le chef déterminé qui décide. En un mot, le Guide protecteur qui va nous mener à la victoire dans les guerres où il a délibérément engagé notre pays. Le voilà donc maintenant, en pleine métamorphose, renonçant aux réductions qu’il avait prévues en matière de Défense, adoptant sans ciller les mesures prônées par la Droite et le FN en matière de Sécurité, et se posant en Président de la « concorde » entre TOUS les Français face à une adversité qu’il a provoquée. Cet Occident, sourit l’observateur, devient tout aussi compliqué que l’Orient.

 

Mais après tout, pourquoi pas ? Poursuit-il. La nouvelle attitude présidentielle désespère certes le clan d’où il est issu, mais, s’affranchissant des idéologies, dépassant les querelles partisanes, magnifiant symboles et valeurs de la République, redessinant l’union nationale, ne va-t-elle pas le conduire à de sages décisions ? Adapter notre dissuasion à nos besoins, n’intervenir que dans le cercle de nos intérêts véritables,- le Proche Orient n’y est plus, mais la Libye y est chaque jour davantage -, redonner aux Armées les moyens de mener et gagner les guerres, et traiter ce cancer islamiste qui est notre ennemi intérieur immédiat et ronge nos communautés musulmanes. Enfin refaire l’unité nationale : Unité qui ne peut reléguer dans une ségrégation haineuse le premier parti de France, parti véritablement populaire où grandit la colère, et couve la révolte. Et qui ne peut non plus tolérer le communautarisme musulman prosélyte et envahissant qui, de plus en plus, régit certains de nos quartiers, justifie certains amalgames, et exaspère l’immense majorité des citoyens.

         
Bonne année de la métamorphose.                            

                                                                                             

 

 Général (2s) Bernard MESSANA

Source : Bernard MESSANA