Le cœur du problème : LIBRE OPINION du général d’armée Pierre de VILLIERS, Ancien chef d’état-major des Armées, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale le 12 juillet

Posté le samedi 12 août 2017
Le cœur du problème : LIBRE OPINION du général d’armée Pierre de VILLIERS, Ancien chef d’état-major des Armées, lors de son audition devant la commission de la Défense nationale  le 12 juillet

La remontée en puissance et l’amélioration du quotidien – ne pourront être menés à bien que s’ils sont soutenus par un effort budgétaire sensible et rapide.

J’en arrive donc à ma deuxième préoccupation : obtenir des moyens financiers en cohérence avec notre projet. C’est tout l’objet de la trajectoire budgétaire qui doit nous amener à l’objectif fixé par le président de la République : 50 milliards d’euros courants, hors opérations extérieures (OPEX) et hors pensions, en 2025.

Se dessinent devant nous trois horizons temporels.

Le premier correspond à la fin de gestion 2017 qui doit absolument être préservée. En opérations extérieures comme sur le territoire national, nos armées assurent la sécurité des Français au quotidien, dans des conditions souvent très difficiles. Comment imaginer ne pas leur donner les moyens nécessaires pour remplir leurs missions ? Les exécutions budgétaires ont été préservées en 2015 et 2016. Cela doit être le cas également en 2017, car les armées ne sont pas moins sollicitées, loin s’en faut.

Le deuxième horizon de très court terme est celui de la loi de finances pour 2018. Cette première marche est essentielle. Je ne suis pas un lapin de six semaines : je sais bien que, si l’objectif de 50 milliards est fixé à 2025 et que la courbe d’évolution du budget démarre très bas, l’élévation de cette courbe ne se produira qu’en fin de période. Nous connaissons la ficelle de cette « remontée tardive » et l’avons déjà expérimentée sous les deux quinquennats précédents.

En ce qui concerne la loi de finances pour 2018, l’équation est simple. Après mise sous contrainte, le socle budgétaire ressort à 34,8 milliards d’euros, dont 32,8 milliards ouverts en loi de finances initiale auxquels il faut ajouter, d’une part, le milliard d’euros décidé par le président Hollande lors du conseil de défense du 6 avril 2016 et correspondant aux besoins supplémentaires indispensables pour faire face à la menace terroriste – non-déflation de 18 750 effectifs et mesures afférentes en termes de fonctionnement et d’infrastructure – d’autre part ; plus 200 millions d’euros décidés ces derniers mois pour financer le service militaire volontaire, la garde nationale avec l’augmentation du nombre de réservistes et les mesures de condition du personnel. Ce socle de 34 milliards d’euros sera dépensé, quoi qu’il arrive. Enfin, il convient d’y ajouter les besoins supplémentaires apparus depuis le 6 avril 2016 : 600 millions d’euros pour soutenir le surcroît d’engagement de nos forces et atténuer le sous-dimensionnement chronique de certains soutiens, dont l’infrastructure et enfin, 200 millions d’euros pour renforcer à très court terme la protection de nos hommes, à titre individuel et pour les équipements – Au total, il convient de bâtir d’emblée sur des bases saines une trajectoire de remontée en puissance pour consolider notre modèle.

Le troisième horizon de court terme est la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Elle doit être celle de la régénération et de la projection vers l’avenir. L’ordre de grandeur de l’effort à consentir est d’ores et déjà connu : il s’élève globalement à deux milliards d’euros supplémentaires par an à périmètre constant, hors opérations extérieures et hors pensions. Compte tenu de l’urgence, la LPM doit être votée au plus tôt, c’est-à-dire avant le 14 juillet 2018, pour intégrer comme première annuité le projet de loi de finances 2019. Je rappelle que sous les deux quinquennats précédents, il aura fallu environ deux ans pour que la LPM soit adoptée.

Voter la LPM au plus tôt suppose évidemment de disposer d’une revue stratégique sur la défense et la sécurité nationale dès la fin de l’été. Nous n’avons pas besoin d’un document de politique générale très détaillé, mais bien d’un document de référence concis, opérationnel et directement exploitable, qui trace le cap politique de la remontée en puissance. Cette préoccupation a été entendue par le président de la République. Les travaux, dont l’horizon est fixé au 1er octobre, sont lancés. La première réunion du comité de rédaction de la revue stratégique, présidé par M. Arnaud Danjean s’est tenue vendredi dernier.

À plus long terme se pose la question du modèle 2030. Les travaux stratégiques et budgétaires que je viens de citer tendent à bâtir un modèle d’armée complet, adapté au contexte sécuritaire tel qu’il est envisagé à quinze ans. Nous, les militaires, sommes aussi contraints d’être dans le temps long : commander, c’est prévoir.

Vous l’aurez compris, la première marche de 2018 et la LPM 2019-2025 sont absolument essentielles.

Je rappelle pour terminer que la souveraineté économique ne s’oppose pas à la souveraineté de défense, bien au contraire. Reste qu’il faut trouver entre les deux une voie juste et équilibrée.
Le coût du renoncement serait potentiellement très élevé. Comme chef d’état-major des armées, je ne vois pas d’autre alternative que celle du désengagement opérationnel inéluctable, par manque de moyens. Se résoudre à l’option du désengagement ne se résume pas à la seule décision de quitter un théâtre d’opération.

Se désengager, c’est choisir en réalité quel dispositif, intérieur ou extérieur, alléger.
C’est décider quel théâtre quitter alors que les opérations qui y sont conduites contribuent à notre sécurité.
C’est accepter de peser de façon moins déterminante sur la protection des Français.
C’est laisser à d’autres le soin d’influer sur les grands équilibres internationaux. En un mot, ce serait revoir nos ambitions à la baisse, au moment même où de très nombreux États, déraisonnables pour certains, aspirent à faire entendre leur voix dans le concert des nations. Une telle décision serait respectable, mais il faut que, politiquement, les choses soient claires.

Choisir le désengagement, c’est aussi prendre le risque d’une profonde incompréhension chez ceux - dont je suis le porte-parole - et qui, au quotidien, dans nos armées, cherchent avec constance et volonté à surmonter les difficultés pour assurer le succès de la mission qui leur a été confiée. Ils le font parfois au péril de leur vie. Imaginez le poids qui pèse sur les familles quand le père, le mari, l’épouse partent sans savoir s’ils reviendront, ni dans quel état. C’est là une nouveauté depuis trois ans qu’il faut prendre en compte. L’état d’esprit des militaires a changé. Nous pouvons être fiers de ce qu’ils font – je le suis – et de ce qu’ils sont. Comme le disait Clemenceau : « Ils ont des droits sur nous ».

 

General d’armée Pierre de VILLIERS
Ancien chef d’état-major des Armées
lors de son audition devant la commission de la Défense nationale
le 12 juillet 2017

Source : udition devant la commission de la Défense nationale le 12 juillet 2017