LIBRE OPINION de Jean-Dominique MERCHET : L'armée de terre voudrait faire du "renseignement humain" sur le territoire national.

Posté le jeudi 29 octobre 2015
LIBRE OPINION de Jean-Dominique MERCHET : L'armée de terre voudrait faire du "renseignement humain" sur le territoire national.

Plus de neuf mois après le déclenchement de l'opération de sécurité intérieure Sentinelle, l'armée de terre se cherche toujours un rôle sur le territoire national (le TN comme disent les terriens), susceptible de justifier l'augmentation des effectifs de la Force opérationnelle terrestre. Des études sont en cours, notamment dans le cadre du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et un corps de doctrine, précisant enfin les choses, pourrait être rendu public en janvier. Un an après les attentats.

Pour l'heure, il faut se contenter des pistes ouvertes par le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser, lors de son audition à l'Assemblée nationale. On y trouve plus de questions que de réponses, mais une phrase retient l'attention, lorsque le CEMAT cite «les atouts importants» de l'armée de Terre : «la capacité de travailler jour et nuit, une grande mobilité, un savoir-faire en matière de renseignement – tant humain que via des drones».
«Un savoir-faire en matière de renseignement humain» ?
Si nous comprenions bien, l'armée de terre propose que ses hommes participent à des opérations de renseignement humain sur le territoire national, concernant donc des citoyens français. Est-ce bien raisonnable ? A juste titre, le CEMAT reconnait que pour définir les nouvelles missions de son armée dans ce qu'il appelle désormais «la défense de l'arrière» «la marge de manœuvre est réduite car nous ne voulons devenir ni une force de sécurité démarquée, ni des auxiliaires d’une force de sécurité».

Cette «posture de protection terrestre» (PPT) pose de nombreux problèmes. Contrairement aux postures permanentes de sûreté (PPS) de l'armée de l'air et de la marine, cette PPT ne peut que se dérouler dans un milieu très particulier, c'est-à-dire «au coeur des populations», en l'occurrence française. D'où de sérieuses difficultés juridiques et administratives. Les militaires de l'armée de terre n'ont ainsi aucun pouvoir de police, notamment judiciaire. L'état-major a renoncé à l'idée, un temps caressée, d'une évolution sur ce sujet. Il existe déjà des militaires dotés de pouvoirs judiciaires : ce sont les gendarmes ! Autre sujet : sous quelle chaîne de responsabilité les militaires doivent-ils opérer ? Lors de son audition à l'Assemblée, le général Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale, l'a rappelé : «le rôle du préfet est bien sûr primordial». Les militaires sur le territoire national, qui agissent aujourd'hui dans le cadre de «réquisitions» préfectorales, vont-ils prendre leurs ordres auprès des préfets et non de leur propre chaîne hiérarchique ? En cas d'incident grave, qui donnerait les ordres, le colonel ou le préfet ?

L'état-major de l'armée de terre sent bien qu'il y a un problème et c'est la raison pour laquelle le général Bosser a indiqué aux députés que «en Île-de-France, l’opération Sentinelle sera réarticulée fin octobre en trois états-majors tactiques commandés par des chefs de corps. On redonnera ainsi de la verticalité à un système jusque-là très horizontal : un soldat, un trinôme, une porte, peu ou pas de chefs de groupe, pas de chefs de section, encore moins de commandants d’unités, et un chef de corps qui restait en base arrière dans son régiment. Nous allons inverser cette tendance.»

Décidé dans l'urgence et pérénisé sans trop de réflexions, l'engagement permanent de l'armée de Terre dans la sécurité intérieure ne va pas de soi, quoi qu'en dise ses partisans qui sont en même temps ses bénéficiaires en termes d'effectifs. Pas plus que Vigipirate, Sentinelle n'est pas une opération appréciée des hommes et des femmes qui la mettent en œuvre. Elle coûte cher (180 millions cette année) et pèse lourdement sur l'entraînement des forces, pour des missions que des policiers municipaux ou des vigiles privés pourraient remplir.
L'armée de Terre cherche donc à élargir sa mission à la «protection terrestre», un champ beaucoup plus large que l'opération Sentinelle. Jusqu'où va cette «protection terrestre» ? La lutte contre les catastrophes fait consensus - mais quid de la surveillance des frontières (dans le cas d'une crise des migrants touchant la France) ou le «contrôle de zones» sensibles en cas de troubles divers ? Il est temps de clarifier les choses et de se poser la question de savoir s'il est vraiment indispensable de réinventer... la gendarmerie, une force armée dotée de pouvoirs de police et spécialisée dans la sécurité intérieure ?

 

Jean-Dominique MERCHET

 

 

 

Avis ASAF :

-          Dans son audition devant les membres de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale, le général BOSSER, chef d’état major de l’armée de Terre rappelle que son armée a des capacités indiscutables en matière de renseignement humain. Elle le prouve d’ailleurs dans les Opex (Mali notamment), mais aussi, déjà, sur le territoire national, en Guyane, dans les opérations qu’elle conduit avec des gendarmes, contre les orpailleurs venus du Brésil et du Surinam.

-          Faut-il rappeler que l’armée de Terre a pour mission permanente de participer à la protection « au sol » des Français et de garantir l’intégrité du territoire national.
Dans ce cadre, il est donc tout à fait normal que les militaires viennent en renfort des pompiers et de la sécurité civile en cas de catastrophe naturelle. Il n’y aurait alors rien d’anormal à ce que les armées, dont l’armée de Terre, soient engagées dans une grave crise sécuritaire intérieure, nécessitant des capacités opérationnelles supérieures à celles dont disposent  la Gendarmerie et les autres forces de sécurité intérieure.

-          La situation actuelle et les menaces qui pèsent sur notre pays imposent une réflexion sans tabou concernant l’emploi optimal de nos forces armées sur le territoire national, en complément des forces de sécurité intérieure notamment dans le cas où elles seraient dépassées par un ennemi multiple, organisé, qui mettrait en œuvre des armes et des tactiques de guerre.

 

Source : L'Opinion - Blog "Secret Défense"