Le service national universel (SNU). LIBRE OPINION du général (2s) Gilbert ROBINET.

Posté le jeudi 05 octobre 2017
Le service national universel (SNU). LIBRE OPINION du général (2s) Gilbert ROBINET.

Une promesse de campagne inconséquente

Candidat à l’élection présidentielle, monsieur Emmanuel Macron a proposé  d’instaurer un service « national » (mais en fait militaire si on replace ses mots dans leur contexte) qui serait « universel et obligatoire ». D’une durée de seulement un mois, il devrait être effectué dans les trois ans suivant le 18e  anniversaire des futurs conscrits, à condition, évidemment, qu’ils soient aptes.

 

Pour expliquer le sens de sa proposition, M. Macron a fait valoir plusieurs arguments à la portée plus sociale que militaire (il a d’ailleurs parlé d’un « projet de société »). Chaque jeune Français ira ainsi à la rencontre de ses concitoyens, fera l’expérience de la mixité sociale et de la cohésion républicaine durant un mois  a-t-il dit. Ce service aurait aussi pour finalité de détecter les difficultés, notamment l’illettrisme, il permettrait de proposer  une mise à niveau scolaire des appelés lorsque que cela sera nécessaire  et d’aider ainsi les jeunes à préparer leur entrée dans la vie professionnelle comme dans leur vie de citoyen.

 

Les fondements juridiques :

A elle seule, l’évocation des difficultés d’ordre matériel à surmonter (volume de l’encadrement nécessaire à trouver, absence de casernements pour accueillir les jeunes conscrits, ressources financières supplémentaires à consentir, etc.) suffirait à démontrer que ce projet est inconséquent, c’est-à-dire contraire au bon sens et à la logique.  Mais, on peut faire l’économie d’une telle argumentation, car c’est en droit que ce projet doit être condamné. La mission des armées est de préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation. Ainsi libellé, le 1er alinéa de l’article 1er de la loi 2005-2700 du 24 mars 2005 portant statut général des militaires rappelle, s’il en était besoin, que les armées n’ont pas vocation à se substituer aux institutions en charge de l’éducation des jeunes Français, aux premiers rangs desquelles la famille et l’Education nationale, à qui, normalement, incombe l’atteinte de tous les objectifs fixés par M. Macron au service qu’il envisage.

 

Il s’agit là, d’ailleurs, d’un curieux retour des choses que de voir, l’adjudant Kronenbourg, caricature du militaire borné et alcoolique cher à Cabu, méprisé pendant de très longues années, élevé aujourd’hui  au rang de meilleur pédagogue d’un système éducatif qui, enseignement privé compris, compte un million de personnes et qui, de l’aveu même des paroles prononcées plus haut, aurait failli.

 

Le statut des futurs conscrits :

Si la formation des conscrits ne répond pas à la finalité des armées au sens de l’article premier du statut général des militaires, ceux-ci pourront-ils être considérés comme des militaires ? En particulier, quelles seront les mesures permettant de poursuivre ceux qui n’auront pas répondu à leur convocation ou ceux qui « déserteraient » en cours de cycle ? En d’autres termes, l’encadrement  aura-t-il le pouvoir de faire appliquer dans toute leur rigueur les règles de la discipline générale dans les armées et, en particulier, d’apprécier la gravité des fautes commises et des sanctions à appliquer ?

 

Le caractère universel  et la montée en puissance :

A qui s’adressera véritablement ce service dit universel ? Une classe d’âge représente environ 800 000 personnes, garçons et filles confondus qui, aux plans physique comme intellectuel, peuvent être représentés, comme tout phénomène naturel, selon une courbe de Gauss. Seront donc éliminés à la sélection les malades, les infirmes, les personnes fragiles, voire les trublions et il y en aura. Sans doute faudra-t-il compter aussi avec un « sport » adoré des Français : le passe-droit.

Aussi, est-il  à craindre que les extrémités de la courbe de Gauss soient largement amputées par les dispenses et exemptions de tous ordres. Comptons sur 200 000 exemptés ou dispensés : resteront 600 000 jeunes à absorber par an, soit 50 000 par mois. Dès lors, deux questions se posent :

-quelle sera la première classe d’âge concernée ?

-comment gérer la montée en puissance d’un tel système si l’on veut lui conférer un caractère égalitaire ?

Ajoutons qu’il faudra sans doute séparer les garçons et les filles, car si les défuntes journées d’appel de préparation à la défense (JAPD) devenues journées défense et citoyenneté ne durent, comme le nom l’indique, pas plus d’une journée, c’est parce que il a été jugé impossible de « gérer » le déroulement d’une nuit en toute sérénité. Il est vrai que de telles considérations « ancillaires » ont sans doute échappé à ceux qui ont proposé le projet dont nous parlons aujourd’hui.

 

Lors de la suspension du service national, la décroissance des effectifs s’était faite « en biseau », c’est-à-dire progressivement. De jeunes soldats étaient encore sous les drapeaux, tandis que les premiers de leurs cadets commençaient à être exemptés. Mais si un tel principe est appliqué dans le cadre, cette fois-ci inverse,  d’une montée en puissance, la mise en place ne pouvant être instantanée, alors le système sera forcément inégalitaire puisque, au sein d’une même classe d’âge, certains seront appelés et d’autres pas.

 

D’autres formes de service national possibles :

Comme en un mois, il est, cette fois, matériellement impossible de donner une formation militaire à des jeunes gens qu’il faudra, en outre et dans ce délai, sélectionner, incorporer, habiller, un service à connotation  militaire est, de fait, exclu. Or, en droit, si ce service n’est pas à finalité défense, il n’y a aucune raison qu’il soit  à la charge des armées.

 

Pour autant, doit-on abandonner toute idée de service national ? Certainement pas, mais à la condition première que toutes les formes retenues reposent sur le volontariat. Il existe aujourd’hui le service civique qui, dans de nombreux domaines, allant de la santé à l’éducation en passant par la culture ou l’humanitaire, permet à des jeunes de 18 à 25 ans, d’œuvrer pendant 6 à 12 mois au profit de la collectivité et qui est soutenu par différents ministères et les collectivités locales. Ces formes de service pourraient voir le nombre de places offertes augmenté en fonction de la demande.

 

Pour ce qui concerne le ministère des armées, et répondant en cela au vœu exprimé par le désormais président de la République, on peut envisager, au sein des armées, une forme de service mêlant formation militaire et préparation à l’emploi à l’instar du service militaire adapté (SMA) qui existe aujourd’hui dans nos départements et collectivités d’Outre-mer et qui, en 2017, aura accueilli 6 000 jeunes avec le partenariat d’acteurs de l’orientation, de la formation et de l’emploi, en particulier, des entreprises.

 

Cette possibilité pourrait être offerte, en métropole, sur volontariat, à un nombre forcément limité de jeunes très éloignés de l’emploi mais particulièrement méritants où dont le parcours de vie aurait connu des « accidents » qui ne leur seraient pas imputables.

 

Instiller l’esprit de défense par le haut :

Ce qui, en revanche, devrait être obligatoire, c’est l’acquisition d’un minimum de connaissances dans le domaine de la Défense par nos élites. Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République,  se trouve à la tête de l’Etat un homme qui, avant de prendre ses fonctions, n’avait jamais eu le moindre contact avec le monde militaire et qui, néanmoins, se plait à rappeler aux militaires qu’il est leur chef.

 Jusqu’en 1972, les élèves d’un certain nombre de grandes écoles, en particulier d’ingénieurs, recevaient une instruction militaire obligatoire. Ils devaient, pendant leur cursus scolaire, consacrer une demi-journée par semaine à une formation militaire d’officier et effectuer, au cours de leurs vacances scolaires, une « période militaire » de trois semaines. Ces IMO (c’est ainsi qu’on les désignait) effectuaient ensuite  leur service militaire en suivant  un stage en école d’application puis en étant  affectés dans les unités comme sous-lieutenants.

 

On pourrait appliquer aujourd’hui  ce principe, sous une forme atténuée, en insérant dans les programmes des élèves des grandes écoles, pas seulement scientifiques mais aussi du type Sciences-Po ou ENA, un certain nombre de conférences consacrées au monde de la Défense et faites par des militaires et en organisant des visites dans les unités des trois armées.

 

Plutôt que de vouloir instituer un service obligatoire et qui se voudrait universel mais dont on voit bien qu’il s’adresserait d’abord aux plus démunis (comme c’était d’ailleurs devenu le cas du service militaire avant sa suspension)  car, (fort heureusement) et pour reprendre les termes du candidat Macron, tous les jeunes Français ne sont pas désocialisés, en difficultés ou illettrés, il conviendrait plutôt  de faire prendre conscience à nos élites des enjeux en matière de défense de telle façon que, en situation de responsabilité, ils prennent éventuellement des décisions en connaissance de cause.

 

Gilbert ROBINET

 

Source de diffusion : www.asafrance.fr

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