Former les candidats à la présidence aux questions de Défense : LIBRE PROPOS du général (2S) Bruno THEVENON.

Posté le lundi 01 août 2016
Former les candidats à la présidence aux questions de Défense : LIBRE PROPOS du général (2S) Bruno THEVENON.

 Former les prétendants à la magistrature suprême 

aux questions militaires et de défense.

 

En cette période proche de l’élection présidentielle, il paraît utile, du fait de l’évolution de la société française et du contexte international, de s’interroger sur le niveau d’exigence requis pour les prétendants à la magistrature suprême en matière de connaissance des questions militaires et de défense, actuellement comme dans le futur.

Les événements qui se sont déroulés, notamment lors des deux dernières magistratures, et encore tout récemment, l’attestent s’il en était besoin.

 


Le besoin de prise en compte du poids croissant de la fonction de chef des armées dans un nouveau contexte.

La constitution de la Vème République fait du Président le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités (Article 5). Il est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale. (Article 15). Ainsi, ces attributions en font le garant de la vie de la nation et de l’intégrité du territoire, notamment à travers la dissuasion nucléaire qu’il incarne au premier chef. Sa responsabilité dans l’engagement des armées implique l’acceptation de pertes humaines, à tout le moins d’en accepter le risque.

Depuis l’avènement de la Vème République, tous les chefs d’Etat ont été confrontés à des conflits ou à des crises, et conduits à engager les armées tout en assurant la dissuasion nucléaire. Jusqu’à la fin de la guerre froide, ces présidents avaient tous connu la deuxième guerre mondiale et ayant eux-mêmes servi dans les armées (Le général De GAULLE bien sûr, Valéry GISCARD d’ESTAING, résistant à 18 ans puis engagé volontaire à 19 ans dans les rangs de la 1ère armée française, cité au combat et décoré de la croix de guerre, Georges POMPIDOU, décoré de la croix de guerre, François MITTERRAND, sergent-chef en juin 1940, blessé, prisonnier, évadé) étaient imprégnés de culture de défense et de connaissance des affaires militaires dans un cadre stratégique bipolaire dont les acteurs majeurs et leurs postures étaient parfaitement identifiés. Les membres de leur entourage politique également (MM.MESSMER, PONIATOWSKI, MENDES FRANCE …). La question de la connaissance des affaires militaires ne se posait pas.

 

La disparition des conflits interétatiques majeurs après l’effondrement de l’URSS pour laisser place à la gestion de crises n’impliquant pas les intérêts vitaux de la France, la prépondérance des questions économiques et sociales, la recherche effrénée des dividendes de la paix dans la vision d’une Europe irénique ont pu laisser penser à la classe politique et aux chefs d’Etat que ces questions n’étaient plus de premier plan si ce n’est pour réaliser des économies. Toutefois le service national avait permis à certains de conserver un lien plus ou moins fort avec les questions militaires en exerçant des responsabilités d’officier chef de section parfois au combat (Jacques CHIRAC en Algérie) ou en effectuant leur service national (François HOLLANDE comme aspirant chef de section de génie). Mais la suspension du service national et la professionnalisation des armées en 1997 ont accentué ce sentiment d’éloignement voire d’indifférence aux questions militaires, et de méconnaissance par les « politiques », notamment de ceux se destinant à la magistrature suprême. Plus de passage quasi- automatique pour être officier de réserve pour les futurs candidats, sauf démarche volontaire pour des effectifs de réserve désormais réduits. Qui ne se souvient qu’en 2007, répondant aux questions apparemment basiques des journalistes, les prétendants majeurs à la présidence n’avaient pas su donner le nombre exact de sous-marins nucléaires français, SNA et surtout SNLE ? Ou encore des réflexions du président, certes sous l’effet de la colère, après les premières pertes en Afghanistan, laissant penser qu’il découvrait que la guerre tue.

Or, au tournant des années 2000, la menace dite asymétrique, notamment pour contourner la supériorité des armements et technologies modernes détenus par les grandes puissances, illustrée par le terrorisme islamiste, a changé la donne, installant aujourd’hui l’insécurité au cœur même des plus grandes puissances démocratiques, dans un continuum établi entre actions extérieures et sécurité intérieure. Ainsi en Afghanistan, au Moyen-Orient (Syrie-Irak), dans un degré moindre pour l’instant, en Afrique[1] s’agissant de nos anciennes colonies…

Aussi, dès leur prise de fonction, nos prétendants à la présidence doivent être intellectuellement et psychologiquement préparés pour être à la hauteur de leurs responsabilités de chef des armées, comme l’indiquait le président de la République après l’attentat de Nice, et ce d’autant qu’avec le président des Etats- unis, le président français est en pratique le seul d’une nation démocratique à pouvoir engager l’armée sans l’aval initial de la représentation nationale[2].

La question se pose pour certains postulants dès l’élection à venir mais surtout pour les élections futures s’agissant de candidats qui n’auront plus connu le service national. Mais le besoin ne se limite pas à cela.

 


Le besoin en formation des prétendants à la magistrature suprême et les pistes proposées pour le satisfaire.

En effet, sans chercher systématiquement une homothétie des formations avec les situations antérieures, il convient d’abord de poser de façon générale les bases souhaitables à détenir dans l’absolu par un futur président de la République au XXIème siècle. Puis d’étudier l’aide à apporter dans le cas des candidats aux prochaines élections présidentielles (2017, voire 2022), et à celles du futur pour des candidats encore inconnus.

Il s’agit d’abord d’acquérir une connaissance concrète de la vie et des contraintes du « soldat » à travers une expérience de vie militaire, et en priorité d’exercice de responsabilités, dans la Réserve opérationnelle (garde nationale), pour une mission et si possible la participation à une opération extérieure ou intérieure. Il convient à cet effet de solliciter la formation d’officier de réserve, qui est spécifique à chaque armée ou service. Donc un(e) candidat(e) qui soit officier de réserve. Cette formation d’officier de réserve, comme cette expérience concrète du commandement en OPEX ou en mission, permet à chacun d’évaluer son aptitude à la décision, décision qui dans la réalité peut engager des vies humaines.

Après un passage dans la réserve opérationnelle, intégrer la réserve citoyenne, autre forme d’engagement du candidat au profit du lien armée-nation, avec un grade honorifique. Elle vise en effet à faire connaître le monde de la défense, à entretenir l’esprit de défense et contribuer au lien entre les forces armées et la société civile.

Il convient ensuite, ou parallèlement, d’acquérir une culture sur les enjeux de défense et de sécurité, l’organisation des armées et les capacités pour y répondre, les questions d’armement et d’économie de défense.

-         Pour la formation initiale, l’IHEDN[3], à travers les sessions régionales et internationales, est l’institut le mieux à même d’y répondre. Cette formation prioritaire peut être complétée en fonction des cursus de chacun par un stage à l’INHESJ[4], pendant de l’IHEDN pour les questions de sécurité et de justice.

-         Cette culture doit être développée et entretenue par la participation aux conférences, visites, événements nationaux ou internationaux touchant à la défense, la visite aux forces françaises en opérations …permettant à chacun de garder le contact avec les différents acteurs en fonction des postes tenus : élus, cadres de l’administration, ou de la société civile, membre « assidu » d’une commission de la défense, ministre de la défense…L’appartenance à la réserve citoyenne, à l’IHEDN ou aux associations de défense facilite cette démarche.

Une fois le candidat désigné par son parti pour l’élection présidentielle, et s’il le souhaite, pouvoir compléter son information, par un point de situation défense effectué par les différentes armées. Il pourrait utilement être prolongé par une visite à certains éléments de nos forces en mission ou en opérations à l’extérieur ou sur le territoire national.

 

 La perspective 2017-2022…

 Le cursus souhaitable présenté supra doit bien sûr être adapté en fonction des situations de chacun des candidats potentiels, de droite à gauche, y compris aux extrémités, du fait des élections primaires annoncées, car les parcours sont disparates.

A chacun de solliciter la formation la plus adaptée, mais, pour l’élection à venir, le temps et les possibilités sont comptés. En revanche, pour 2022, toutes les possibilités sont ouvertes, étant entendu que chaque parti a tout loisir pour organiser  des séminaires ou journées d’études sur la défense.

 

…et celles des élections futures pour les candidats n’ayant pas connu le service national.

La réflexion sur la formation aux questions militaires et de défense de jeunes gens qu’on pourrait qualifier de « génération MACRON[5] » (nés en 1977 et au-delà) illustre bien le fait que cette formation revient à organiser principalement celle des « politiques » susceptibles de se présenter un jour à la magistrature suprêmePersonne à ce stade n’est connu - E.MACRON est le contre-exemple-, ni désigné ni même ne sait qu’un jour il sera candidat. Or, à travers ce cas et de celui d’autres candidats aux primaires de droite, ou potentiels à gauche, on perçoit, en dehors des brillantes qualités des candidats, des manques ou lacunes préoccupants en matière de questions militaires et de défense qu’il faudrait combler au plus vite en cas de sélection. Car, quelle que soit la compétence de l’équipe ministérielle, il n’y a qu’un décideur, pour des mesures lourdes, le président, et pour décider il faut connaître l’essentiel.

Dans ces conditions suivre le cursus proposé supra, qui n’affecte pas sur la durée d’une carrière politique ou professionnelle un temps trop important, apparaît comme la voie permettant à ceux qui veulent porter un dessein national de s’armer correctement en matière de défense et de sécurité. Ce cursus, qui offre diverses possibilités, doit être suivi de façon pragmatique, et adapté à la situation de chacun.

 

Niveau d’exigence imposé ou possibilité offerte par l’Etat aux prétendants ?

A partir du but recherché, qui est, en dehors de toute autre finalité, de permettre aux candidats, en particulier ceux susceptibles d’être élus,  de pouvoir assumer d’emblée la fonction de chef des armées, il convient d’étudier quelle aide l’Etat peut apporter dans cette formation.

 La question est d’abord de savoir s’il convient d’imposer des critères et un profil minimal « défense » pour prétendre se présenter : par exemple être officier de réserve, avoir appartenu à la réserve opérationnelle ou citoyenne…Cela paraît difficile mais le sujet mérite d’être étudié.

L’aide de l’Etat, facultative, pourra prendre des formes diverses (Désignation officier de réserve, accession aux stages…) pour accomplir ce cursus. L’offre aux candidats  doit être plus marquée lors de la campagne présidentielle et ouverte à tous selon des modalités à définir

Au final, ce sont les citoyens qui apprécieront et sanctionneront par leur vote l’effort de formation des différents candidats et leur ressenti à leur égard sur leur aptitude à être chef des armées. La situation du moment accroîtra ou inversement atténuera l’importance de ce critère dans leur choix présidentiel.

Il appartient à la représentation nationale de se saisir de ce dossier, Dans le contexte mondial que nous connaissons et la gravité des décisions d’engagement militaire susceptibles d’être prises, la formation des candidats à la Présidence aux questions militaires et de défense répond à un besoin croissant et urgent.

 

 

Bruno THEVENON
Officier général (2S)
Délégué ASAF 56

 


[1] Où les représailles d’Al Qaïda se sont portées à ce jour sur nos ressortissants, nos intérêts et nos soldats dans les zones d’intervention de nos forces.

[2] Information du parlement dans les 3 jours suivant le déclenchement d’une intervention, débat et vote pour une prolongation au-delà de  4 mois (Réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008).Grande autonomie du président aux Etats- unis qui doit seulement prévenir le Congrès dans les 48 heures s’il ne l’a pas informé.

[3] Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale placé sous la tutelle du 1er Ministre

[4] Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et de Justice placé sous la tutelle du 1er ministre

[5] Référence factuelle au ministre dont la date de naissance correspond au cas envisagé

 

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Source : ASAF