ASAF : Le budget de la Défense toujours en danger

Posté le dimanche 15 juin 2014
ASAF : Le budget de la Défense toujours en danger

Deux données fondamentales
Pour tenter d’appréhender correctement la nature et la dimension des menaces qui pèsent à nouveau sur le budget de la Défense, il faut, au cours du raisonnement, conserver en permanence à l’esprit deux données permanentes fondamentales :

  • la première est que, même si Bercy est un ministère puissant, il poursuit les objectifs que l’exécutif lui fixe ;

  • la seconde est qu’une loi de programmation, militaire (LPM) ou non, n’a constitutionnellement aucune valeur normative et n’engage formellement en rien un gouvernement. C’est la loi de finances qui, débattue et votée chaque année, confirme ou non l’affectation des moyens prévus par la loi de programmation. De ce fait, sauf engagement très ferme du président de la République et/ou (en période de cohabitation) du Premier ministre, le combat visant à respecter l’annuité de la LPM doit généralement être mené chaque année.

Ces éléments de contexte étant rappelés et malgré l’engagement récent du Premier ministre, quelles sont les menaces qui pèsent encore aujourd’hui sur le budget de la Défense ?

Le risque principal réside dans des réductions lors des deux ou trois premières annuités de la LPM (1 à 2 Md€ par an) accompagnées d’une promesse de « rattrapage » lors des deux dernières années. Ainsi, l’engagement de respecter la LPM serait optiquement tenu. Certes la ficelle est un peu grosse quand on sait qu’aucune LPM n’a jamais été strictement respectée et que deux ou trois ans représentent en politique un temps long. Il est fort à parier qu’alors le « rattrapage » n’aurait jamais lieu ; c’est pourtant ce que Bercy devrait tenter de faire passer.

Un avatar de cette hypothèse est une attaque possible sur les ressources exceptionnelles qui, pour les trois prochaines années, sont prévues respectivement à 1,77, 1,77 et 1,25 Md€. Point besoin d’être grand clerc ou polytechnicien pour constater que ces montants correspondent impeccablement à la fourchette de 1 à 2 Md€ qui pourrait être celle des économies envisagées sur le budget de la Défense. La LPM prévoit aussi que d’autres ressources, en particulier budgétaires, seraient mobilisées en cas d’insuffisance des ressources exceptionnelles et que, à l’inverse, si celles-ci étaient plus élevées qu’attendues, 0,9 Md€ supplémentaire pourrait être affecté à la Défense. Il est fort probable que tout en affichant le maintien des objectifs de la LPM, Bercy cherche à faire sauter ces deux conditions.

Toutefois, il faut savoir que les ressources exceptionnelles sont très rarement, pour ne pas dire jamais réalisées. En effet, pour qu’elles le soient il faut réunir simultanément trois conditions : trouver un acheteur dès la mise en vente des cessions, obtenir de cet acheteur le prix prévu et faire en sorte qu’il paie comptant et immédiatement. Un tel cas de figure est rarissime.

Un autre levier à la disposition de l’exécutif réside dans l’octroi ou non de la qualification d’ « opération extérieure » pour nos interventions à l’étranger et, en particulier, en Afrique. En effet, dans le premier cas, le coût du déploiement est partiellement supporté par des crédits extérieurs au budget de la Défense alors qu’à l’inverse, dans le second cas, ce sont les armées qui doivent prendre en compte le coût de leur déploiement.

Une quatrième hypothèse est l’utilisation du classique lissage des programmes, c'est-à-dire l’étalement dans le temps des commandes et livraisons. Les armées connaissent bien ce processus qui les impactent directement dans leurs capacités opérationnelles. Cette hypothèse est cependant moins probable que les précédentes compte-tenu de la récente montée au créneau des industriels de Défense et de la vigilance du ministre de l’Economie à ce sujet.

Il reste un dernier danger potentiel qui porterait sur la façon de conduire la déflation du personnel. Celui-ci serait particulièrement pervers et dommageable car pour trouver des « économies » équivalentes à celles envisageables dans les hypothèses précédentes, il faudrait taper très fort. En quoi cela consisterait-il ? Aujourd’hui, les déflations s’accompagnent d’un dépyramidage correspondant aux besoins opérationnels. Elles n’impactent pas le recrutement et l’avancement et des mesures d’incitation au départ ont été mises en place. C’est un dispositif complexe et onéreux. Bercy pourrait donc chercher à maintenir l’objectif de déflation, et donc respecter là encore optiquement la LPM, par d’autres moyens moins onéreux mais qui déstructureraient lourdement les armées et singulièrement l’armée de Terre. Voici les possibilités :

  • une forte réduction du recrutement en même temps que des départs incités des lieutenants-colonels et colonels qui provoquerait un double effet : moins de prime à verse et économie des rémunérations et charges sociales, sur 30 ans, des non-recrutés ;

  • réduction des primes d’incitation au départ générant des économies directes ;

  • réduction de l’avancement.

Enfin, il ne faut pas exclure une combinaison de plusieurs de ces mesures possibles prises dans leur entier ou partiellement.

En conclusion, le « il n’y aura pas de remise en cause de la LPM » du Premier ministre n’est aucunement une garantie. Tant que le président de la République n’aura pas fermé la porte, Bercy reviendra à la charge. Il faudra donc être particulièrement vigilant et vérifier chaque année que la Loi de Finances prévoit les autorisations d’engagement (AE) conformes aux prévisions de la LPM et qui constituent un engagement de dépenses pour l’année A+ 1 et ne pas s’arrêter aux seuls crédits de paiement (CP) qui représentent les crédits consommables pour l’année A.

Gilbert ROBINET
Secrétaire général ASAF
(www.asafrance.fr)

Source : Gilbert ROBINET Secrétaire général ASAF (www.asafrance.fr)