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RÉACTION de l'Historien Pierre MONTAGNON aux propos de M MACRON : Algérie, le legs français.

Posté le mercredi 08 mars 2017
RÉACTION de l'Historien Pierre MONTAGNON aux propos de M MACRON :  Algérie, le legs français.

Des propos émis à Alger, ont dénoncé un colonialisme français « crime contre l’humanité ». Répondent-ils à une réalité à l’image d’un passé récent où plane le terrible souvenir de l’univers concentrationnaire de Dachau ou Auschwitz ? Tout fut-il si terrible en Algérie de 1830 à 1962 ? Le legs français sur cette terre fut-il si mauvais ? L’honnêteté, en la matière, impose l’objectivité.

La terre où les Français débarquent le 14 juin 1830, autant pour mettre fin à la piraterie barbaresque écumant la Méditerranée que pour par souci électoral à Paris, relève de l’Empire ottoman. Le pays est province turque sous le nom de Régence d’Alger. Le 14 octobre 1839, le ministre de la Guerre prend une décision : « Le pays occupé par les Français dans le Nord de l’Afrique sera à l’avenir désigné sous le nom d’Algérie ». Ce 14 octobre 1839, la France a scellé un nouveau nom dans le lexique des nations ou futures nations : celui de l’Algérie. Les Algériens se souviennent-ils de cette origine de leur identité ?

Certes, cette période appelée la conquête, fut rarement une marche triomphale. Si, nombreux tels les Douairs et les Smélas d’Oranie se rallient au nouvel arrivant, beaucoup d’autres derrière Abd-el-Kader et ses lieutenants s’ y opposent avec vigueur. Le sang coule dans les deux camps. Simultanément un autre peuplement, européen et globalement chrétien, débarque et prend racine. Une foi s’oppose à une autre foi. Une colonisation s’implante en terrain conquis, acheté ou séquestré.

Ceci étant, par les armes et les traités, la France donne à l’Algérie une autre dimension. La Régence d’Alger possédait des frontières mal définies avec ses voisins marocain et tunisien. Au fil des décennies, celles-ci sont fixées. Quant au sud, le présent Sahara, il était « terra incognita » hormis des épiciers mozabites et des caravanes apportant des esclaves d’Afrique noire. Sur un front d’un millier de kilomètres, la Régence d’Alger s’étalait au mieux sur 250 kilomètres en profondeur. En gros, elle englobait dans les 250 000 kilomètres carrés. L’Algérie du 5 juillet 1962 compte 2 200 000 km2, c’est dire que sa surface en 132 années a presque été multipliée par 10. Elle possède le plus vaste territoire africain.

Dans le gigantesque appendice saharien, les Français à la fin de 1956 découvrent du pétrole et mettent les gisements en exploitation. Le premier pétrolier transportant du naphte quitte Philippeville, (Skikda) le 9 février 1958. L’Algérie indépendante vivra sur les hydrocarbures et pourra grâce à eux faire face à ses besoins matériels. Ce travail de recherche et de mise en valeur des richesses pétrolières lui a assuré une large sécurité financière. A cette ressource capitale issue du sous-sol vient s’adjoindre celle, organisée par la France, d’autres produits miniers. Fer de l’Ouenza, Houille de Kenadsa, phosphates du Kouif et du djebel Onk, etc…

La Régence d’Alger de 1830 offrait l’aspect d’un monde rural. Les villes étaient peu nombreuses et peu peuplées. Alger comptait à peine 30 000 habitants qui se serraient dans le cadre étriqué de la casbah. Constantine sur son rocher atteignait tout juste 20 000. Les autres cités, Oran, Bône (Annaba), Tlemcen, Médéa, Miliana quelques milliers. Les villages, à l’exception des massifs berbères, Grande-Kabylie et Aurès, n’existaient pas. Les mechtas n’étaient que regroupement de gourbis en pisée ou de tentes. Les Français développent les cités existantes et en créent de nouvelles. Alger, Oran deviennent des métropoles de plusieurs centaines de milliers d’habitants, Européens et Musulmans confondus. Philippeville (Skikda), Sidi-Bel-Abbès, Orléansville (El-Esnam), Aumale (Souz-el-Gozlane), Batna voient le jour là où il n’y avait rien. Hormis parfois des vestiges romains. Dans le bled, des villages dits de colonisation apparaissent. Près de 800 ! Ils sont les cités d’aujourd’hui dépassant 10 000, 20 000, 40 000 résidants.

Tous ces centres qui se créent aussi bien sur la côte que dans l’intérieur permettent la mise en valeur du pays. La Mitidja, La vallée du Chéliff, la plaine des Aribs, le Sersou, pour ne prendre que quelques exemples n’étaient qu’étendues marécageuses ou stériles remplies de jujubiers ou de palmiers nains. Défrichées, travaillées, elles produiront vignes, vergers, céréales, produits maraichers. En 1958, le vin représentait 50% des exportations. (Il en a été fait bien peu cas puisque qu’une bonne partie du vignoble a été arrachée sur ordre de Boumedienne).

Dans un espace géographique à la pluviométrie irrégulière, la production agricole s’est souvent appuyée sur une irrigation rendue possible par la création de barrages. On en dénombrait 12 en 1955 sans compter celui, gigantesque, en construction à la fin des années 50 sur le Djen-Djen en Petite-Kabylie. Le barrage de l’Oued-Fodda permettait l’irrigation de 53 000 hectares. A l’occasion ces barrages assureront l’alimentation en eau. Celui des Beni-Bahdel apportera enfin de quoi s’abreuver aux Oranais cruellement dépourvus en la matière.

La côte méditerranéenne n’abritait que quelques ports sans consistance. La piste, pour le cheval, le mulet ou le piéton était l’unique moyen de communications . En 1962 Port-Say, Oran, Arzew, Mostaganem, Alger, Bougie, Philippeville, Bône s’affirment des ports de commerce et de voyageurs. Beni-Saf exporte le minerai de fer. Port Gueydon, Herbillon, Stora, La Calle se consacrent à la pèche. Des routes, des lignes de chemin de fer relient le pays d’est en ouest et du nord au sud. L’aviation installe ses escales de La Senia à Maison-Blanche ou Bône-les Salines.

Que dire de l’enseignement et de la médecine ? Hors les écoles coraniques tout était à faire. Un rappel historique à ce sujet. Tifelfel, un hameau perdu de l’Aurès une fois franchies les gorges de Tighanimine. Les époux Monnerot, deux jeunes instituteurs français, y enseignent aux gamins du voisinage, tous musulmans. L’école a été construite dans ce but. Les Monnerot, comptent parmi les premières victimes innocentes du 1er novembre 1954. Ils étaient venus, les mains nues, non pour s’enrichir mais tout simplement pour instruire. Comme à Tifelfel, le bled a ses écoles souvent rudimentaires. Les villes possèdent leurs collèges, leurs lycées, leurs universités. Tous ces établissements, le 5 juillet 1962, sont prêts à recevoir les jeunes générations algériennes comme ils le faisaient auparavant. Ferhat Abbas, l’enfant de Taher dans le Constantinois et premier président du GPRA, le Gouvernement provisoire de la République algérienne, fut élève du lycée de Philippeville avant de devenir pharmacien à Sétif. Quant à la médecine, il est dans la nature des choses de reconnaître qu’en 1830 elle restait rudimentaire à tous niveaux. Les épidémies faisaient des ravages. Les colons français d’origine en paieront lourd tribut. De l’hôpital Mustapha à Alger aux hôpitaux militaires rappelant les grands vainqueurs des luttes contre les fléaux qui décimaient les populations, Maillot, Baudens, Laveran, le 5 juillet 1962, tous ces établissements comme les cliniques ou centres plus modestes étaient prêts à prendre le relais. L’institut Pasteur d’Alger, fondé en 1894, plus d’un siècle après sa création, poursuit sa mission.

Si la loi islamique s’éloigne souvent des mœurs occidentales où la femme est l’égale de l’homme, La République a semé ses valeurs. Les a-t-elle toujours parfaitement appliquées ? Des inégalités sociales ont pu, à juste titre, choquer, mais 1958 a introduit la citoyenneté pour tous et pour toutes. Un grand pas en avant dans un univers souvent loin d’un tel état d’esprit. L’Algérie aura à tenir compte de cette semence.

Il resterait à évoquer ce dont Léopold Sedar Senghor disait : « Dans les décombres de la décolonisation, nous avons trouvé cet outil merveilleux : la Langue française ». Même si un auteur algérien francophone, Kateb Yacine, la regardera comme « prise de guerre », elle n’en est pas moins là, trait d’union entre berbérophones et arabophones, lien avec le monde extérieur, instrument précieux de travail, d’expression et de culture.

La conclusion de ces quelques lignes est peut-être à emprunter à Charles de Gaulle l’homme qui plus que tout autre a conduit à l’Algérie algérienne : «  L’Algérie restera française, comme la France est restée romaine. »

 

Pierre MONTAGNON 
Historien.

Source : Pierre MONTAGNON